• Vassili GROSSMAN - Carnets de guerre

    Je ne sais pas à quoi je m'attendais lorsque j'ai acheté ce livre. Je le cherchais après avoir lu pour une juste de cause de Grossman. Je pensais certainement à une édition reprenant les articles de celui qui a couvert la guerre entre 41 et 45.

    Cet ouvrage n'est pas cela.C'est peut-être un peu mieux pour un lecteur qui comme moi n'est pas un spécialiste de Grossman, n'a pas encore lu sur l'opération Barbarossa ou qui n'a pas (encore) lu Vie et Destin.

    Le principe de l'ouvrage c'est que Antony Beevor et Luba Vinogradova (pourquoi leur nom ont-ils une taille différente d'ailleurs sur la couverture?) nous racontent Grossman sur cette période. Ils nous racontent la manière dont il a parcouru les champs de bataille, la manière dont il recueillait les témoignages. Ils entrecoupent cette "histoire de Grossman, correspondant de guerre" avec des extraits de ses carnets ou de ses articles.

    C'est extrêmement intéressant. c'est intéressant parce que nous découvrons un Grossman impliqué plus que nécessaire, valorisant le "combattant soviétique", capable de raconter le froid, les souffrances des siens. Mais c'est aussi le récit d'un juif russe qui découvre et raconte la Shoah par balles (sa mère mourra à Babi Yar), qui raconte les batailles, le froid, le courage des soldats russes, leur sacrifice, ou qui raconte encore Treblinka dès la fin 44.

    C'est un auteur qui se découvre à l'aise et utile au front, qui réclame à accompagner les siens, qui utilisera cette matière première que sont les carnets pour en faire des romans. Mais c'est aussi un auteur qui saura raconter l'horreur pour ceux qui ne l'ont pas vue.

    Il est notable de remarquer qu'en 1945, lorsque les Russes (devenus pour les autres les "Ivan", cf une femme à Berlin) franchiront la frontière russe, Grossman ne cherchera pas à cacher leurs exactions.

    un extrait sur la Shoah par balles:

     

    «Et il n’y a plus personne à Kazary pour se plaindre, personne pour raconter, personne pour pleurer. Le silence et le calme règnent sur les corps des morts enterrés sous des terres calcinées, effondrées et envahies d’herbes folles. Ce silence est plus terrible que les larmes et les malédictions. Et il m’est venu à l’esprit que, de même que se tait Kazary, les Juifs se taisent dans toute l’Ukraine.
    Massacrés les vieillards, les artisans, les maîtres renommés pour leur savoir-faire : tailleurs, chapeliers, bottiers, étameurs, orfèvres, peintres en bâtiment, fourreurs, relieurs, massacrés les vieux ouvriers, portefaix, charpentiers, fabricants de poêles, massacrés les amuseurs publics, les ébénistes, massacrés les porteurs d’eau, les meuniers, les boulangers, les cuisiniers, massacrés les médecins, praticiens, prothésistes dentaires, chirurgiens, gynécologues, massacrés les savants en bactériologie et en biochimie, les directeurs de cliniques universitaires, les professeurs d’histoire, d’algèbre, de trigonométrie, massacrés les professeurs à titre personnel, assistants, maîtres-assistants et maîtres de conférences des chaires universitaires, massacrés les ingénieurs, les architectes, massacrés les agronomes et les conseillers en agriculture, massacrés les comptables, caissiers, commanditaires, agents de fourniture, assistants de direction, secrétaires, gardiens de nuit, massacrées les maîtresses d’école, les couturières, massacrées les grands-mères qui savaient tricoter des chaussettes et cuire de délicieuses brioches, faire du bouillon et du strudel aux noix et aux pommes, massacrées les grands-mères qui n’étaient plus capables de rien, qui savaient seulement aimer leurs enfants et petits-enfants, massacrées les épouses fidèles à leur mari et massacrées les femmes légères, massacrées les belles jeunes filles, les étudiants doctes et les écolières mutines, massacrées les vilaines et les idiotes, massacrées les bossues, massacrées les chanteuses, massacrés les aveugles, massacrés les sourds-muets, massacrés les violonistes et les pianistes, massacrées les petites de deux ans et de trois ans, massacrés les vieux de quatre-vingts ans aux yeux ternis par la cataracte, aux doigts froids et transparents et aux voix presque inaudibles chuchotant comme du papier blanc, massacrés enfin les nourrissons tétant avidement le sein maternel jusqu’à leur dernière minute.
    Ce n’est pas la mort des hommes morts à la guerre, les armes à la main, d’hommes ayant laissé derrière eux leur maison, leur famille, leurs champs, leurs chansons, leurs traditions, leurs récits. C’est le meurtre d’une immense expérience professionnelle, élaborée de génération en génération par des milliers d’artisans et d’intellectuels pleins d’esprit et de talent. C’est le meurtre d’habitudes du quotidien transmises par les aïeux aux enfants, c’est le meurtre des souvenirs, des chansons tristes, de la poésie populaire, de la vie allègre et amère, c’est la destruction du foyer, des cimetières, c’est la mort d’un peuple qui a vécu des siècles aux côté du peuple ukrainien…
    Khristia Tchouniak, une paysanne de quarante ans du village de Krassilovka, dans le district de Brovary de la région de Kiev, m’a raconté comment les Allemands exécutèrent à Brovary, le médecin juif Feldman. Ce Feldman, un vieux célibataire qui avait adopté deux enfants de paysans, était l’objet d’une véritable adoration de la part de la population. Une foule de paysannes en pleurs, suppliantes, allèrent trouver le commandant allemand pour lui demander de laisser la vie sauve à Feldman. Le commandant fut contraint de céder aux prières des femmes. C’était à l’automne 1941. Feldman continua à vivre à Brovary et à soigner les paysans. Il a été exécuté cette année au printemps. En racontant comment le vieil homme avait lui-même creusé sa tombe (il était en effet tout seul pour mourir, car au printemps 1943 il n’y avait déjà plus de Juifs vivants), Khristia Tchouniak retenait ses sanglots et elle finit par éclater en pleurs.»
     
    A noter que son article (pour lequel il a dû interroger des dizaines de témoins) sur Treblinka est effroyable. Ct article a été cité au procès de Nuremberg.
     


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  • Joseph KESSEL - Les cavaliers

    Les cavaliers, ce sont des afghans, les tchapendoz qui pratiquent le bouzkachi, sport équestre où des équipes de cavaliers se battent pour une chèvre.

    Kessel a fait plusieurs voyages en Afghanistan.

    Il en a rapporté un roman épique. Sa langue, son écriture est de celle des épopées des contes. Il y a souffle réel qu'il arrive à tenir sur les 550 pages du roman. C'est une des forces du roman. On vit malgré l'apparition de véhicules à moteur au début du roman et à la fin dans un Afghanistan intemporel peuplé de nomades, où les montagnes défient les individus, où les rapports sociaux sont ceux d'un autre temps, une sorte d'illo tempore, un temps juste postérieur après celui des dieux.

    "Tu as bien vu pourtant le ciel, dit Guardi Guedj. Rin ne reste en balance dans le monde. L'un s'élève et l'autre descend.
    Oui, dit Toursène en serrant les poings. Oui, mais le soleil lui, demain, remontera. -Nous aussi, peut-être, dit Guardi Guedj.
    La lune couvrait le plateau de toute sa lumière. Au fond d'une masure, dans le misérable village de Kalaktchekane, se mirent à résonner en sourdine un tambourin et une damboura"
     
    Le lecteur ne s'étonnerait pas de croiser Homère ou certains de ses personnages.

    Ouroz fils de Toursène est promis, sur son magnifique cheval Jehol à la victoire au bouzkachi du roi. Mais c'est la défaite et une jambe cassée qui mène le roman. Ouroz accompagné de son saïs, son palefrenier va alors s'imposer une sorte de chemin de pénitence.

    C'est un roman grandiose, le verbe de Kessel marie bien les personnages fiers, tempétueux, avec un pays fait de roches, de vent, de froid et de poussière.

    Ce qui fait peut-être aussi la force du roman, c'est qu'il est difficile de s'attacher à un personnage en particulier. Aucun n'est irréprochable. Ils forment un ensemble complexe faits de noblesse, de bassesse, de violence, d'orgueil ou de trahison. C'est peut-être aussi ce choix e la part de Kessel qui fait du roman un ensemble complexe où c'est finalement l'énergie sauvage, noble, parfois cruelle du pays qu'a vu et retenu Kessel qui l'emporte.

     


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  • François PONCHAUD - Cambodge année zéro

    Peut-être le premier ouvrage qui évoque le Cambode après l'accession au pouvoir des Khmers rouges. Le livre date de 1977 alors que les Khmers rouges officiaient au Cambodge depuis 2 ans.

    L'ouvrage commence par une multitude de témoignages portant sur les exactions des Khmers rouges lorsqu'ils ont évacué Phnom Penh. déplacements ofrcés, exécutions sommaires pour épurer le peuple des anciens.

    Car les Khmers rouges sont d'obédience marxiste et ont procédé certainement à l'application la plus radicale (mâtinée de leur propre culture entre religion et histoire) des préceptes marxistes. S'élabore sous nos yeux une ingénierie folle et meurtrière qui voit les villes (symbole de l'Occident et du capitalisme) vidées pour que les Khmers qui restent retournent à la terre (encore cette dyade ville/campagne, impure/pur). Toutes les têtes pensantes (médecins, officiers, lettrés) sont assassinés, privés de leur fonction au profit d'une idéologie d'un "retour à la terre" pour revivifier un peuple fantasmé issu du Moyen-Âge/

    L'ouvrage évoque aussi l'histoire des têtes pensantes éduquées à Paris par le PCF, les alliances et les oppositions avec la Chine, l'URSS, le Vietnam...

    Ce qui nous paraît peut-être fou aujourd'hui, c'est l'autarcie dans lesquels les Khmers rouges ont perpétré leurs crimes. Il aura fallu attendre 2 ans avant que ces événements n'apparaissent au grand public.

    Ce qui est surprenant aussi aujourd'hui, c'est que ce livre, s'il livre des témoignages sur la cruauté des Khmers n'arrive pas (le pouvait-il à l'époque) à évoquer "l'assassinat d'un peuple" (comme c'est pourtant écrit dans la conclusion), à le faire ressentir dans toute son horreur. Le récit est assez froide, trop analytique peut-être.

    Des éléments intéressants sont les citations des discours tenus et l'analyse du fonctionnement de l'Angkar (l'organisation).

    Il faudra compléter avec un autre ouvrage. Je pense à "Pourquoi les Khmers rouges" par exemple. Et peut-être aussi revoir "la déchirure".


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  • Richard LELEWELLYN - Qu'elle était verte ma vallée

     

    Récit au passé, usant de la mélancolie afin de raconter l'histoire d'une famille étroitement liée à une vallée et à l'industrie du charbon qui fait vivre le village en son entier.

    Au titre, on comprend tout de suite que la vallée n'est plus telle qu'elle a été, que nous allons lire une histoire qui ne sera plus jamais.

    Huw, le narrateur, vieil homme raconte son microscosme, sa famille, la figure paternelle, grandiose dans sa simple dignité, la mère toute en dévouement familial, en déclaration d'amour à travers les plats qu'elle concocte ainsi que ses frères qui travaillent à la mine ou des relations amoureuses des uns et des autres.

    Le ressort est évident dès le premier chapitre, la vallée finira ensevelie sous les extractions. La mine sera le fil conducteur de cette famille simple et digne à la fois. Huw est un des derniers, il apprendra à aimer son monde, à se battre, à lier et à écrire après un accident qui le laissera handicapé quelques années, il tombera amoureux d'une de ses belles soeurs.

    Le ressort est évident mais je n'ai pas accroché. Cette simplicité manque de profondeur, la mine n'est pas assez métaphorique (sauf peut-être dans le dernier chapitre). J'en ai eu une lecture laborieuse, chapitre après chapitre, épisode après épisode. Le père est La figure paternelle, la mère est La figure maternelle, et Huw est le passeur, celui qui articulera les différents mondes qui s'affrontent. Peut-être y a-t-il là un intérêt de lecture: identifier des temps fantasmés qui ne sont plus ou qui n'ont d'ailleurs jamais été complètement: une foi omniprésente, une pratique religieuse qui guide les personnages, une sorte de dignité archaïque qui fait refuser les grèves, une mère volontairement dévouée à sa famille. Aujourd'hui, un écrivain y introduirait des éléments de révolte, de volonté d'émancipation. Il y en a parfois: cet amour pour une fille d'une vallée voisine, cette soeur amoureuse d'un pasteur mais ce qui ressort c'est une forme de fatalité qui enferme les personnages dans cette vallée. Jusqu'à ce que la mine et la vallée finissent par entraîner la mort, la rupture et la séparation de la famille (émigration)

    personnellement, j'ai eu du mal. Il a fallu que je m'accroche. J'ai trouvé le roman trop superficiel, avec des personnages auxquels je ne me suis pas attaché. Même à titre d'illustration d'une époque révolue.

    Peut-être que le film de John Ford vaut le coup?


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  • Annick LE FLOCH'HMOAN- Ces extravagantes soeurs Mitford

    C'est Claire qui m'a poussé dans les bras des soeurs Mitford. C'est Claire, grande lectrice de littérature anglaise qui m'a mis entre les mains des romans d'Evelyn Waugh ou de Nancy Mitford. (J'ai dû oublier de chroniquer Charivari)

    Et ma foi, elle a bien raison. Si je suis davantage attiré par la littérature française de la même période, je dois bien dire que je prends plaisir à lire ces romans.

    Mais quel intérêt de lire sur les soeurs Mitford. Tout d'abord, il faut savoir que les soeurs Miford sont très connues au Royaume-Uni. Filles de Lord (elles ont aussi un frère, Tom), elles traversent le XXème siècle et mêlent leur talent, leurs vie, leurs contradictions aux temps tumultueux et qui accompagneront la perte de puissance de la noblesse dont elles sont issues

    Il y a Unity qui deviendra la groupie d'Hitler, qui crie des "Heil Hitler" aux personnes qu'elles croise et qui se tirera une balle dans la tête au lendemain de la déclaration de guerre ne pouvant supporter que l'Angleterre et l'Allemagne se fassent la guerre. Il y a leurs parents sympathisants du fascisme et qui trouvent Hitler sympathique. Il y a Diana qui épousera Oswlad Mosley, le chef des fascistes anglais et qui sera emprisonnée pendant la guerre. Il y a Jessica qui tentera de partir faire la guerre d'Espagne, deviendra communiste au Etats-Unis, qui subira le Maccarthysme et qui deviendra militante de la cause afro-américaine, croisant Martin Luther King et la future Hillary Clinton. Il y a Deborah qui épousera son destin de Comtesse et qui saura malgré tout prendre le tournant de ce siècle finissant. Et il y aura bien sûr Nancy, francophile, écrivain à succès, amie d'Evelyn Waugh, vaine amoureuse de Gaston Palewski (le Colonel), grand séducteur, compagnon de route de de Gaulle qui sera président du Conseil Constitutionnel et qui ne l'aimera jamais vraiment en retour.

    Des vies de femmes de caractère, de talent parfois, sympathiques ou non. Des filles issues de l'aristocratie anglaise qui seront des incarnations de leurs temps, s'échappant de leur condition, mêlées aux grandes idéologies du siècle. Leur parenté les réunira -presque- toujours malgré les différences et les trajectoire. Seules Jessica et Diana ne se réconcilieront jamais.

    Un livre choral. Il y a de la matière. L'ouvrage est agréable à lire. Les sources nombreuses permettent une chronologie où chacune (de façon déséquilibrée il est vrai tant leurs destins sont différents) trouve sa place. Le livre permet également de dresser un tableau d'une période où ces soeurs vont incarner de façon différente la fin d'une époque, celle de l'aristocratie anglaise.


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