• coalition (Pascal Boyer)

     Pascal Boyer peut nous aider à comprendre cet apparent paradoxe. Il explique pourquoi tous les fondamentalismes s'attaquent avant tout à ceux qu'ils considèrent comme leurs fidèles, et qui semblent s'éloigner de la doxa : ils doivent en payer le prix, sacrifiés pour l'exemple.
    Ces processus sont décrits dans ce qu'il appelle les "dynamiques de coalitions" : quand une communauté repose avant tout sur la coalition, alors le débat, les voix discordantes sont perçues comme extrêmement dangereuses pour cette coalition.
    Car l'homme a tendance au "groupisme"ImageImageImage
    J'attire votre attention sur cette phrase dans le dernier screen ci-dessus : "Les membres d'une coalition sont extrêmement soucieux de la loyauté des autres membres. Le fait que les autres membres du groupe soient ou non loyaux envers le groupe suscite des émotions fortes"
    Et ainsi : "Vous ressentez le désir de punir les gens qui ont quitté la coalition" et surtout : "Vous pouvez même avoir envie de punir ceux qui n'ont pas puni les coupables", voire "vous aimeriez soumettre certaines personnes à différentes épreuves pour vérifier leur loyauté"
    Et c'est ainsi que Pascal Boyer explique la violence du fondamentalisme (violence réelle ou symbolique), à rebours des explications habituelles : pour lui c'est juste que la défection "doit avoir un prix à payer". C'est donc une "violence" d'abord et avant tout à usage interne.ImageImage
    Il parle ici de religions mais "le prix de la défection" est valable pour tout groupe organisé en coalition, ce qui, à des degrés variables, est très fréquent chez l'humain. Et n'est donc pas propre aux religions. Ce sont les religions qui sont un cas particulier de coalition.
    Ainsi la cancel culture, les camps politiques, les pro-ceci, les anti-cela, sont organisés en coalition : et ce qu'ils détestent le plus ce n'est pas l'opposant (c'est le jeu habituel), c'est la voix discordante de son propre camp, c'est la réflexion libre : c'est l'hérétisme.
    Voilà pourquoi la gauche passe son temps à s'entre-déchirer et est dans une course à la pureté. La droite aussi, mais moins, je ne sais pas exactement pourquoi. Aux extrêmes c'est très clair.
    Steven Pinker, @StephaneDorin et d'autres : leur tort pour les canceleurs est d'être identifié comme chercheurs (et pas comme d'ext droite par ex) : plutôt que réfuter leurs arguments (le cas échéant) les canceleurs ressentent le besoin de les faire passer dans le camp d'en face.
    Ce sont des "traîtres" idéal. Comme les "nègres de maison", les "collabeurs", les "bounty", les maghrébins s'affichant gays, etc. : ils étaient identifiés à une communauté (une coalition ? On y reviendra) et semblent s'en extraire sans en payer le prix : c'est trop facile.
    Les cérémonies d'initiation s'explique aussi de cette façon : il s'agit de payer "en avance" le prix de la défection. Les bizutages aussi : tu as payé un prix tellement cher qu'il vaut mieux que tu restes dans la coalition pour rentabiliser ce prix, et le faire payer aux nouveaux
    Revenons aux groupes culturels ou ethniques (les "noirs", les "blancs", les "arabes", les "musulmans") : communauté ou coalition ?
    De manière ironique l'approche de "coalition" permet aussi de soutenir le racisme comme systémique, à rebours de l'universalisme et du racialisme.Image
    Selon cette vision ce n'est pas l'identité qui crée la communauté, c'est le rapport de domination et le désir de favoriser sa domination (la coalition) qui crée le racisme : les blancs ont voulu favoriser leur groupe (au dépend des noirs)Image
    De manière symétrique, pour se défendre, les groupes minoritaires (oppressés) s'organisent en coalition. Et quiconque réfute cette vision est un traître à la communauté. C'est plus compréhensible il me semble si on l'analyse en terme de pouvoir qu'en termes d'identité.
    C'est pourquoi, plutôt que de racisme systémique on devrait plutôt je pense parler d'oppression systématique, ou de système d'oppression (des noirs par les blancs, aux USA et en Europe, des noirs par les arabes au Maghreb, de certains noirs par d'autres noirs en Afrique, etc).
    Je disais que c'était ironique car peut-être (je n'en sais rien) Pinker a-t-il raté cet aspect du racisme (la coalition, soit l'oppression systématique), l'idée de coalition permettant aussi de comprendre pourquoi il est victime de cette tentative de "cancel".
    Je trouve ce concept de "dynamiques de coalition", et de "prix à payer" quand on sort de la doxa de la coalition, très intéressant. Tous les extraits cités dans ce thread viennent du livre de Pascal Boyer "Et l'homme créa les dieux - Comment expliquer la religion"ImageImage
    Souvent on dit : "tel parti c'est une secte", "tel courant d'idée c'est une vision religieuse de la société".
    Il serait peut-être plus juste de dire : "tel parti, tel courant d'idée, telle secte, telle religion, est vraiment organisé suivant une dynamique de coalition".
    Les dynamiques de coalitions (naturelles pour nous humains) portent en elles les notions de solidarité dans le groupe, l'intolérance et l'exclusion pour les autres, les notions d'honneur et de traîtrise, la haine de l'individualisme.
    On remarque aussi que les dissidents des communautés (des coalitions) sont plutôt individualistes : ils n'ont pas réussi à faire allégeance, ils n'ont pas pu se résoudre à accepter d'abdiquer une partie de leur individualité pour avoir la protection du groupe.
    Sur un autre sujet, de manière éclairante, la démarche scientifique est une des rares idées qui soit fondée explicitement sur le refus de la coalition : on valorise le doute, le débat, la remise en cause perpétuelle : tout ce qui peut être dangereux dans une coalition.
    Evidemment la nature humaine ne tarde pas à reprendre le dessus et à organiser la science en coalition (du mandarinat, aux "disciplines", aux "écoles de pensées" et à la cancel culture). Mais la nature même de la démarche scientifique devrait permettre à la science de s'en sortir
    J'espère que ça vous aura donné envie de lire Pascal Boyer. Et que ça vous aura permis d'identifier les coalitions dont vous faites partie, souvent à votre insu, ou dont vous êtes victime. D'en identifier les mécanismes et le fonctionnement. Et de questionner la notion d'identité
    Ce que je trouve intéressant c'est aussi de comprendre pourquoi certaines personnes sont allergiques aux coalitions, aux étiquettes. "Traîtres" perpétuels. Ni dieux ni maîtres. Hérétiques aux communautés et coalitions. Perpétuels questionneurs. Pas fiables, individualistes.
    Si vous en faites partie, et n'arrivez pas à comprendre cette rage de la "cancel culture", peut-être ce thread vous aura-t-il permis de voir qu'il s'agit d'un trait de la nature humaine, profondément ancré en nous, qui a permis aux groupes du paléolithique et après de survivre.
    Je trouve passionnant cette lutte entre l'individualisme (les lumières, les droits de l'homme) et la solidarité des coalitions au dépend des droits des individus et du débat d'idée. Plus qu'une lutte d'ailleurs c'est plutôt une dialectique.
    L'homme pensant contre lui-même (contre ce que l'évolution a mis dans son cerveau pour survivre) car la société moderne et confortable lui permet le luxe d'être plus individualiste.
    Or quand l'homme a peur, quand il voit ou qu'il pense que son monde est en danger, il se réfugie dans les coalitions, réflexe de survie. Ce qui peut être une prophétie auto-réalisatrice d'ailleurs, les coalitions pouvant être aussi destructrices (guerres) que réconfortantes.

     

     

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  • Commentaires

    1
    Marie
    Lundi 20 Juillet 2020 à 13:24

    Zut, impossible d'afficher la première image

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