Premier volume des "origines du totalitarisme" (1948), Arendt s'attaque aux raisons qui ont entraîné l'antisémitisme dans plusieurs grands pays européens (France, Allemagne, Autriche), transformant l'antijudaïsme à fondement religieux en un antisémitisme laïque.

Dotée du privilège épistémique d'être juive pour parler des juifs, Hannah Arendt se permet de mettre des mots de façon construite sur cette haine des Juifs basée sur leur spécificité au cœur d'un mouvement historique qui conduira l'extermination des juifs pendant la seconde guerre mondiale.

À partir de la fin du XVIIè siècle, on assiste en conséquence à une expansion sans précédent de l’activité économique de l’État et, parallèlement, de son besoin de capitaux. Parmi les populations européennes, aucun groupe n’était en mesure de fournir à l’État les capitaux nécessaires, ni de prendre une grande part au développement d’activités économiques étatiques. Les Juifs, au contraire, avaient une longue expérience du prêt et des relations avec la noblesse européenne, qui souvent les protégeait localement et les employait comme hommes d’affaires. Il était donc naturel qu’on eût recours à eux. Pour ses nouvelles activités économiques, l’État avait tout intérêt à accorder aux Juifs certains privilèges et à les traiter comme un groupe à part. L’État ne pouvait en aucun cas les laisser s’assimiler complètement à une population qui refusait de prêter à l’État, qui répugnait à prendre part à ses entreprises et à les développer, et qui se cantonnait au modèle routinier de l’entreprise capitaliste privée.

Elle parle de la condition particulière des juifs pendant le XIXè siècle qui a empêché l'égalité des droits, et a placé les juifs hors du commun. Elle parle de la famille Rothschild qui a financé les grands États, les gouvernements les uns après les autres et qui a donné l'illusion bien pratique d'une aristocratie juive transnationale faiseuse de rois et d'Empires.

Les Juifs auraient donc été prisonniers d'un histoire où les Etats les auraient utilisés, empêchant l'assimilation. 

L’État-nation avait besoin que les Juifs restent un groupe distinct et ne s’intègrent pas à la société de classes ; les Juifs avaient besoin de préserver leur identité et de survivre en tant que groupe[...] Sans les intérêts et les pratiques des gouvernements, les Juifs n’auraient sans doute pas pu conserver leur identité de groupe.

Pour Arendt, cette détestation du juif qui a eu un écho démentiel dans de nombreux pays, jusqu’à être une idéologie politique, est un corollaire de la perte de puissance des Etats-Nations en ce qu'ils perdent de la puissance en devenant des empires, cherchant soit à assimiler soit à détruire ceux qui n'en font pas partie.

Certains chapitres sont plus faciles à lire que d'autres. Le dernier chapitre sur l'affaire Dreyfus permet de retracer les forces en présence.

Le tout est très érudit mais il faut alors faire confiance en Arendt pour synthétiser des mouvements de pensée. Cela manque parfois d'explications malgré une somme bibliographique importante. Elle a aussi des velléités d'expliquer l'air du temps par la littérature. Toute une partie est consacrée à Proust. Pour elle l'homosexualité et la judaïté affichés  de Proust ne sont que des acceptations similaires et temporaires dans une certaine partie de la société française. Difficile de considérer ce niveau de preuve à la hauteur des autres.

Bref, une somme de connaissances qu'Arendt essaie de mettre en réseau. À défaut, selon moi, d'avoir une explication totale, nous avons ici un panorama historique qui embrasse une partie de l'Europe et l'histoire qui précède la montée des totalitarismes. 

Je reste circonspect. En attendant la suite.