• Laurent Cordonier - La nature du Social

    Laurent Cordonier - La nature du Social

    Laurent Cordonier, a écrit ce livre (qui correspond à sa thèse) sous la direction de Gérald Bronner. Bronner, je l'aime bien quand il est dans la pédagogie critique mais il m'énerve parfois quand il joue le rôle du légitimiste qui justifie tout un tas de choses. Cependant, il a le mérite de d'être une sorte de poil à gratter face à certaines évidences.

    J'aime bien questionner le rapport entre nature et culture. On peut dire que la culture est un moment de la nature, que la culture est la nature de l'homme, que la culture est une part de la nature de l'homme. Mais une fois qu'on l'a dit, finalement on n'a rien dit. On énonce un dualisme artificiel.

    Souvent on (la sociologie, des tenants de la sociologie) reproche aux sciences cognitives de vouloir mécaniser l'homme, quelque part de le désacraliser en le remettant à sa place au milieu des animaux, animal humain parmi les animaux non humain.

    "la réticence des sociologues à s'engager dans une telle entreprise [faire un rapprochement entre psychologie cognitiviste et sociologie] provient probablement en partie du fait que, certains d'entre eux au moins, chercher à ouvrir la "boîte noire" que constitute l'esprit humain reviendrait à ouvrir une boîte de Pandore.

    En effet, s’intéresser empiriquement au fonctionnement de l'esprit humain, c'est nécessairement enquêter sur la question de la "nature humaine", cette nature héritée de notre évolution biologique et dont nous partageons de très nombreux éléments avec nos cousins non humains[...] Or, la sociologie contemporaine a développé une forte méfiance à l'égard de tout ce qui pourrait tenir de la "nature" dans la vie sociale de l'être humain. De nombreux sociologues (dont les sociologues critiques ou les sociologues du genre, par exemple) considèrent ainsi qu'il est de leur devoir d’œuvrer en permanence à exposer l'artificialisation intrinsèque des structures et des représentations sociales. Selon eux, démontrer que la réalité sociale est de bout en bout une construction humaine, et non un "donné de nature", ce serait permettre de penser le changement et d'exiger la correction des inégalités sociales. Au contraire, mettre au jour des tendances cognitives naturelles chez l'être humain et prétendre qu'elles jouent un rôle dans la vie sociale de l'espèce, contribuerait à légitimer, en les naturalisant, certaines inégalités ou certains systèmes de domination. De pus, cela aboutirait à réduire la complexité du social et la spécificité de l'humain à des déterminants de "bas niveau", comme le faisait en son temps la sociobiologie. Pourtant, nous l'avons montré, naturalisme ne rime de loin pas nécessairement avec réductionnisme ou naturalisation d'un type donné d'ordre social."

    Laurent Cordonnier essaie donc d'articuler sciences cognitives et sociologie.

    Dans une première partie, il va faire la phylogenèse de notre cerveau en lien avec l'homologie de la vie sociale des primates. C'est avec plaisir que l'on retrouve Frans de Waal. Notre cerveau spécifique étant lié à l'importance de notre vie sociale.

    Puis, il va étudier un peu plus en profondeur (mais cela reste très abordable) certains principes cognitifs qui nous sont propres. Il parle rapidement des biais cognitifs, pour approfondir les principes naïfs (comprendre premiers) qui font notre sociabilité. Il va surtout s'appesantir sur les principes d'imitation et de conformisme. Pour lui, ce sont ces deux principes cognitifs qui participent de notre fonctionnement et de notre reproduction sociale.

    Où l'on apprend d'ailleurs des choses très intéressantes sur les bébés et les enfants: "Les bébés de 3 mois seulement sont comparativement plus attirés par des inconnus du même type ethnique que les personnes qui composent leur entourage habituel qu'ils ne le sont par des inconnus d'un type ethnique différent. Par ailleurs, les bébés de moins de 6 mois préfèrent des inconnus qui parlent la même langue que leur parents par rapport à ceux qui parlent une langue étrangère, tout comme ils préfèrent les inconnus qui ont le même accent que leurs parents par rapport à ceux qui parlent la même langue qu'eux mais avec un accent étranger."
    Cela fonctionne aussi entre les sexes.

    Je ne vais pas tout raconter, mais l'auteur se permet d'entrer un peu dans le champ politique en essayant d'appliquer ses préoccupations en renforçant des recherches de Bourdieu, les explicitant en proposant un modèle cognitiviste et en proposant certaines solutions pour une meilleure réussite des enfants des classes populaires à l'école afin d'éviter la reproduction justement.

    Intéressant aussi est le passage qui indique que les rituels viennent  renforcer les groupes (tout en rejetant l'altérité) par le principe d'imitation qui entraîne une production d’ocytocine. 

    Cela vient valider les politiques publiques d'inclusion, les recherches sur l'influence des pairs, et permet de penser de façon un peu plus complexe les rapports sociaux sous la lumière des conceptions naïves, des pré-cablages naturels qui nous font ce que nous sommes et que la société doit apprendre à nous faire inhiber afin d'aller vers plus d'équité.
    Cela fait longtemps que je me le dis, mais plus encore après la lecture de ce livre que la sociologie ne peut se passer de la recherche en sciences cognitives. Comprendre comment nous fonctionnons pour mieux contrer les forces sociales.

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