• Marc BLOCH - L'étrange défaite

    Marc BLOCH - L'étrange défaite

    Je m'attendais à autre chose. J'avais vu l'ouvrage cité à de nombreuses reprises, et je pensais que je lirais un livre soit à visée philosophique, soit introspectif sur la défaite de 1940.

    Marc Bloch, historien, mort fusillé par les allemands en 1944 n'était pas un pacifiste. Il considérait que face à l'Allemagne des années 30, prendre les armes était une nécessité. Peut-on dire qu'il était militariste? Au moins par nécessité. Juif, mais français par dessus tout, patriote, il avait le sens du devoir et du sacrifice. Juif, il ne s'en réclamait que devant les antisémites.

    Il aurait pu partir aux Etats-unis mais il n'a pas voulu laisser sa femme et ses enfants. Il s'est ensuite engagé dans la résistance. Ce qui lui sera fatal.

    Dans une certaine recherche de magnifier la mort, pour reprendre un vers de Ronsard "un beau mourir orne la vie humaine", voici apparemment une de ses dernières phrases,  adressée à un jeune homme de 17 qui allait lui aussi être fusillé:

    "Il vont nous fusiller, lui dit-il, n'aie pas peur, ils ne nous feront pas de mal...Cela ira vite"

    Et dans cet ouvrage, Bloch nous fait d'abord sa présentation. Il ne s'agit pas tant de l'homme que de l'individu dans la guerre de 40, engagé volontaire qui a vécu la défaite. C'est l'occasion d'analyser les errements d'un armée qui n'a pas su se moderniser, qui a promu ceux qui ressemblaient aux vieillards qui étaient à leur tête ne voyant pas l'évolution technique (a contrario de l'Allemagne nazie)et qui ne saura pas analyser les difficultés liées à la vitesse.

    Il fait aussi le bilan des états d'esprit, des difficultés de communication, des errements stratégiques et organisationnels.

    Nous sommes donc à la limite d'un ouvrage militaire tant les préoccupations de l'auteur portent sur les défauts d'une armée qui n'aura jamais su prendre la mesure de son présent.

    « Et puis, il y avait aussi l’idéologie internationaliste et pacifiste. Je suis, je m’en flatte, un bon citoyen du monde et le moins chauvin des hommes. Historien, je sais tout ce que contenait de vérité le cri fameux de Karl Marx : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » J’ai trop vu la guerre, enfin, pour ignorer qu’elle est une chose à la fois horrible et stupide. Mais l’étroitesse d’âme que je dénonçais tout à l’heure a consisté précisément à refuser d’accorder ces sentiments avec d’autres élans, non moins respectables. Je n’ai jamais cru qu’aimer sa patrie empêchât d’aimer ses enfants ; je n’aperçois point davantage que l’internationalisme de l’esprit ou de la classe soit irréconciliable avec le culte de la patrie. Ou plutôt je sens bien, en interrogeant ma propre conscience, que cette antinomie n’existe pas. C’est un pauvre cœur que celui auquel il est interdit de renfermer plus d’une tendresse."

    Sur le pacifisme:

    « Ils disaient que le capitalisme français était dur à ses serviteurs et ils n’avaient, certes, pas tort. Mais ils oubliaient que la victoire des régimes autoritaires ne pouvait manquer d’aboutir à l’asservissement presque total de nos ouvriers. N’apercevaient-ils donc pas, autour d’eux, tout prêts à s’en saisir et presque à la souhaiter, les futurs profiteurs de notre défaite ? Ils enseignaient, non sans raison, que la guerre accumule les ravages inutiles. Mais ils omettaient de distinguer entre la guerre qu’on décide volontairement de faire et celle qui vous est imposée, entre le meurtre et la légitime défense. Leur demandait-on s’ils nous conseillaient de tendre le cou au bourreau ? Ils répondaient : « Personne ne vous attaque. » Car ils aimaient à jouer sur les mots et peut-être, ayant perdu l’habitude de regarder en face leur pensée, se laissaient-ils eux-mêmes prendre dans les filets de leurs propres équivoques. Le voleur de grand chemin ne crie pas à sa victime : « Donne-moi ton sang. » Il consent à lui offrir le choix : « La bourse ou la vie. » De même, au peuple dont il poursuit l’oppression, le peuple agresseur : « Abdique ta liberté ou accepte le massacre. » Ils proclamaient que la guerre est« est affaire de riches ou de puissants à laquelle le pauvre n’a pas à se mêler. Comme si, dans une vieille collectivité, cimentée par des siècles de civilisation commune, le plus humble n’était pas toujours, bon gré mal gré, solidaire du plus fort. »

    Sur l'Histoire:

    « Car l’histoire est, par essence, science du changement. Elle sait et elle enseigne que deux événements ne se reproduisent jamais tout à fait semblables, parce que jamais les conditions ne coïncident exactement. Sans doute, reconnaît-elle, dans l’évolution humaine, des éléments sinon permanents du moins durables. C’est pour avouer, en même temps, la variété, presque infinie, de leurs combinaisons. Sans doute, admet-elle, d’une civilisation à l’autre, certaines répétitions, sinon trait pour trait, du moins dans les grandes lignes du développement. Elle constate alors que, des deux parts, les conditions majeures ont été semblables. Elle peut s’essayer à pénétrer l’avenir ; elle n’est pas, je crois, incapable d’y parvenir. Mais ses leçons ne sont point que le passé recommence, que ce qui a été hier sera demain. Examinant comment hier a différé d’avant-hier et pourquoi, elle trouve, dans ce rapprochement, le moyen de prévoir en quel sens demain, à son tour, s’opposera à hier. Sur ses feuilles de recherche, les lignes, dont les faits écoulés lui dictent le tracé, ne sont jamais des droites ; elle n’y voit inscrites que des courbes, et ce sont des courbes encore que, par extrapolation, elle s’efforce de prolonger vers l’incertain des temps. Peu« Peu importe que la nature propre de son objet l’empêche de modifier à son gré les éléments du réel, comme le peuvent les disciplines d’expérimentation. Pour déceler les rapports qui, aux variations spontanées des facteurs, lient celles des phénomènes, l’observation et l’analyse lui sont des instruments suffisants. Par là, elle atteint les raisons des choses et de leurs mutations. Elle est, en un mot, authentiquement une science d’expérience puisque, par l’étude des réalités, qu’un effort d’intelligence et de comparaison lui permet de décom« poser, elle réussit, de mieux en mieux, à découvrir les va-et-vient parallèles de la cause et de l’effet. Le physicien ne dit pas : « L’oxygène est un gaz, car, autour de nous, nous ne l’avons jamais vu que tel. » Il dit : « L’oxygène, dans certaines circonstances de température et de pression, qui sont, autour de nous, les plus fréquentes, se présente à l’état gazeux. »

    L’historien, pareillement, sait bien que deux guerres qui se suivent, si, dans l’intervalle, la structure sociale, les techniques, la mentalité se sont métamorphosées, ne seront jamais la même guerre. »

     

    A la fin quelques considérations sur les changements à opérer dans l'enseignement, parfois pertinentes (certainement pour l'époque) mais qui ne marquent pas les priorités de notre présent.

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