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  • BOURDIEU, PASSERON - Les héritiers

    trois petites réflexions en préambule

    1/ On dit souvent qu'il y a deux Bourdieu. Celui de  ses premières années avec les héritiers et la reproduction et le Bourdieu militant, celui qui a écrit la misère du monde. Il y aurait donc deux Bourdieu, un scientifique et un militant (s'appuyant sur son travail)

    2/ Ce que font remarquer les deux sociologues n'est aujourd'hui pas contesté dans un pays où hélas, l'école ne permet plus l'ascenseur social. Je n'ai pas idée de comment ce travail a été reçu à l'époque (hélas).

    Ici donc loin de moi l'idée d'effectuer une critique de l'ouvrage mais de donner quelques impressions:

    Tout d'abord, l'écriture est parfois difficile, complexe. Inutilement. Je me souviens avoir trouvé justifié il y a longtemps l'idée qu'un écrit technique pouvait être abscons. Je ne suis pas d'accord avec moi-même. Certaines phrases auraient mérité davantage de clarté.

    Ensuite, dans un ouvrage scientifique, j'ai été surpris d'y trouver un vocabulaire très orienté, parfois agressif, dénonciateur tendnat à démontrer que le militant était déjà en prémices dans sa recherche scientifique. Voici quelques exemples:

    • rentabilité scolaire
    • privilège culturel / aristocratique. Le terme "privilège revient de multiples fois, confondant je trouve un idéal avec un droit exclusif/réservé à une caste
    • "milieu familial plus favorable d'échapper à l'élimination.
    • hérédité culturelle (je trouve l'expression très confuse pour le moins)
    • dévotion scolaire

    On y trouve aussi une syntaxe qui fait la part belle à l'anthropomorphisme: "l'école élimine",  

    On y trouve aussi en germe des phrases qui frisent avec le complotisme:

    • "une sorte de persuasion clandestine"
    • "mais tous les étudiants n'entretiennent pas avec leur condition présente un rapport également truqué" (quand c'est truqué, c'est volontaire
    • les plus favorisés d'entre eux se dissimulent généralement la vérité objective.
    • Mais la pédagogie rationnelle est à inventer e t n e saurait e n rien être confondue avec les pédagogies actuellement connues, qui, n'ayant d'autres fondements que psychologiques servent en fait un système qui ignore et veut ignorer les différences sociales.

    J'ai retrouvé dans cette lecture un article de Nathalie Heinich qui dans un article mettait les termes choisis par les deux sociologues et en particulier l'expression "tout se passe comme si"... (au moins deux fois dans ce court ouvrage)

    « Une autre cheville de la sociologie critique, et non des moindres puisqu’elle a été usée jusqu’à la corde par Bourdieu, est le « tout se passe comme si », qui sous-entend une intentionnalité malveillante, ou l’existence de liens occultes, sans pour autant prendre le risque de postuler explicitement une action délibérément coordonnée ou orientée vers un but.

    Natahalie Einich

    Après, le constat est juste, l'école de l'époque, encore aujourd'hui d'ailleurs n'arrive pas statistiquement, comme elle le fait aux enfants d'enseignants qui connaissent les codes et la valeur de l'école de profiter pleinement de la culture scolaire.

    Bourdieu et Passeron d'ailleurs proposent des solutions. Entre autres que ces codes "cachés", soient d'ailleurs comme c'est fait aujourd'hui tout du moins en primaire, soient explicités aux élèves pour que les attendus soient objectivés. Ils appellent cela "la pédagogie rationnelle" C'est l'enseignement explicite, l'enseignement par compétences, les fiches de révisions données qui précisent les points qui seront évalués. Même si aujourd'hui, on peut se rendre compte que cela ne suffit pas. Je formule l'hypothèse que c'est l'acquisition familiale de la valeur école avec ses corollaires (l'écrit, la culture classique...) le postulat d'une meilleure insertion scolaire.

    Il faut aussi remarquer que Bourdieu et Passeron fustigent l'idée que "les inégalités de don" expliquent les différences de réussite scolaire. Nous sommes bien d'accord qu'il y a une corrélation forte avec le milieu social. Mais on retrouve aujourd'hui dans la critique de l'école l'idée que le mérite (lié au travail) serait aussi un leurre, un mythe. Ceu qui fustigent aujourd'hui une école trop souvent impuissante vont-ils vouloir mettre à bas l'idée de mérite dans la lignée de Passeron et Bourdieu? Ce serait confondre deux notions qui n'ont rien à voir.


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  • C'est un étrange roman que celui-ci bien éloigné de nos préoccupations contemporaines.

    Eve (Eve...), est une jeune femme qui habite la lande bretonne, la lande du Morbihan, dominant presque la mer. La lande n'est pas seulement le lieu, c'est le cadre, une évocation peut-être de la lande des Hauts de Hurle-vent.

    La lande, c'est...

    incipit (premier chapitre)

    Il ne restait rien dans cette lande perdue qu'une femme.

    La maison était étouffante avec ses ombres superposées comme des étoffes unies pliées au fond d'une malle. On eût voulu crier là-dessous, déranger les plis et retrouver le souffle.

    Eve n'osa. D'un mouvement craintif, elle tourna la tête pour explorer la chambre des yeux, tandis que son corps, appuyé des coudes à la table, demeurait rigide. La peur, comme une bête, gîtait au creux des genoux, et il semblait qu'à les tenir serrés, on l'empêchât de sortir de sa somnolence.

    La lande recommençait sa mauvaise magie de chaque soir. Elle se peuplait de bruits étouffés de pas, de murmures de voix, coupés d'affreux silences. Le suaire de la brume remuait. On entendait par intervalles le gémissement de l'Océan, et tout le paysage vêtu de noir, poussé par le vent dans la même direction, avait l'air d'un cortège funèbre. Les panaches des tamariniers ondulaient en tête.

    La maison même était étrange, signi ficative, agrippée au rocher, percée d'étroi tes et hautes fenêtres. Elle avait servi, au siècle précédent, de dépôt de poudres. A l'extérieur, un escalier de pierre ter miné par une guérite donnait accès au toit en terrasse.

    La lande s'avançait en éperon sur la mer. Aux temps des grandes marées, elle devenait, pendant quelques heures, une ile. Au haut de la falaise se dressaient les ruines d'une redoute.

    Eve regarda son papier. Elle n'y vit que des traits de plume, des mots épars.

    des phrases informes. La pensée ne dérou lait plus son arabesque. Elle procédait par hachures et taches. Et c'était ainsi chaque soir.

    La lande, la nuit et la mer se jetaient sur elle, démolissaient la maison fortifiée. Pourtant, elle l'avait délibérément choisie, un jour, grâce complicité du soleil.

    Elle essaya d'oublier la tempête noire, évoqua les tempêtes blanches dont elle avait l'habitude, dans un passé tout proche encore.

    Le grand pays du Nord se dressa devant elle, étincelant, formidable et ma gique. La terre craqua sous les pas d'un grand fauve. L'un était fait pour l'autre.

    Elle entendit le vent qui accourait du fond d'espaces inconcevables, ivre de sa propre vitesse, houleux, chargé de neige, et où le visage humain s'enfonçait comme une proue de navire dans les écumes Les flocons fondirent sur ses lèvres et au bord de ses cils. Elle revit l'horizon enflammé, gonflé de feux rouges, où la ville nocturne faisait entendre son grondement de forge en travail. Une fois de plus, elle fut plongée dans le délire de la tempête, l'âme à l'unisson, soulevée de fureur et de violences, le corps devenu de métal.

    Ou bien ce fut l'enchantement des matins d'hiver exquis transparents, la forêt retenant son souffle pour ne pas fêler le cristal de ses branches. Ce fut la paix des soirs, les ombres veloutées qui se projettent sur la neige bleuâtre. Le monde entier avait un visage fragile et poudré. Aux bornes du ciel et de la terre, le fleuve géant reposait, immobile, dans sa cotte de mailles, une épée de lune à ses côtés.

    Tout à coup, la jungle blanche s'anima. Une race inconnue qui avait face humaine ébranla la terre cuirassée. Les regards flambaient d'une soif de plaisir. Un fu rieux besoin d'action faisait craquer les charpentes.

    Eve franchit le noir cordon de la lande et passa à l'ennemi.

    La Lande, c'est cette sorte de sauvagerie faite de solitude, de beauté archaïque et aussi de fantastique.

    Et c'est dans ce cadre qu'Eve va rencontrer Grand-Louis. Grand-Louis est une sorte de fantôme sur la lande. c'est un individu, plutôt silencieux, simple (déficient de prime abord dirait-on aujourd'hui) qu'elle va apprivoiser, par lequel elle va se laisser séduire.

    Et c'est là que le récit s'écarte de l'attendu. Celui que l'on devine peu à peu comme la figure de l'aimé, celui qui se fait désirer, qui se dévoile peu à peu n'est pas désirable au premier abord. Il est l'incarnation peut-être de ce paysage inconnaissable, puissant et silencieux. Il lui devient nécessaire, vital.

    Et le roman de se terminer dans une fusion religieuse, aboutissement de cette révélation de l'un à l'autre, de l'une à l'autre, entre mer et ciel.

    Le roman comment d'une langue très poétique et tend à se simplifier, à être moins métaphorique par la suite lorsque le récit devient plus narratif, davantage centré sur les relations entre les personnages, les deux seuls personnages.

    Un joli roman, où le sentiment religieux vient parachever une relation déséquilibrée et pourtant complémentaire, où homme et femme sont des principes primitifs.

    Prix Femina, 1927


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  • Jean-François REVEL - L'obsession anti-américaine

    L'ouvrage date de 2012. Autant dire qu'il est fortement teinté des attentats islamistes du 11 septembre 2011 et l'altermondialisme qui avait pris les Etats-Unis comme cible.

    Spontanément, si on m'avait demandé pourquoi l'extrême-gauche et l'extrême-droite détestent les Etats-unis, j'aurais répondu que c'était par une sorte d'identification du pays au libéralisme et au capitalisme. C'est aussi lié à mon sens à leur histoire internationale en opposition avec l'URSS, avec Cuba...

    C'est ce que fait Revel ici dans cet ouvrage qui ne se veut pas un parti pris en faveur du pays qui nous prend comme un lapin dans les phares d'une voiture, est une sorte de rééquilibrage, de discussion sur les accusations qui'l considère comme injustes. La difficulté pour quelqu'un qui ne serait pas d'accord, ce serait d'identifier défense des Etats-Unis, objectivation avec adhésion. Je ne pense pas que ce soit le propos de Revel.

    L'ouvrage est un peu daté puisque ne sont pas traités  les dix années suivantes. Cela aurait été intéressant pourtant avec l'arrivée au pouvoir de Trump ou les années Obama.

    Mais ce qui émerge du livre, c'est le désir que les Etats-unis soient critiqués non pas pour le fantasme qu'ils incarnent à nos yeux d'occidentaux mais pour des faits. Et de revenir sur la guerre en Irak, les productions culturelles (les séries)...

    Revel n'est pas dans cet ouvrage un chanteur de louanges des EU, mais tente de rééquilibrer la critique en apportant des éléments concrets aux grands paradoxes de cette dépendance, de cette relation entre l'attirance (il suffit de voir la consommation de masse des produits nords américains)et le dégoût, l'accusation automatique.

    Bref, et il n'est même pas demandé d'être entièrement d'accord avec ses arguments mais plutôt sur sa posture: il faut rester objectif. Toute détestation, toute obsession cache une vision partisane des choses. C'est une attitude très raisonnable en fait.

    conclusion:

    Il est certain - et je l'ai répété maintes fois dans les pages qui précèdent que la nécessité de contenir les débordements réels ou éventuels de la superpuissance américaine appelle, de la part du reste du monde, une vigilance critique et l'exi gence de participer à l'élaboration de décisions qui concernent tous les pays. Mais cette vigilance et cette exigence n'ont aucune chance d'être pri ses en considération par les États-Unis si les cri tiques et les revendications qui leur sont adressées ne sont pas pertinentes et rationnelles. Les outrances souvent délirantes de la haine antiaméricaine, les imputations des médias, rele vant tantôt de l'incompétence tantôt de la mytho manie, la malveillance opiniâtre qui retourne la signification de tout événement de manière à l'interpréter sans exception de manière défavora ble aux États-Unis ne peuvent que convaincre ceux-ci de l'inutilité de toute consultation. Le résultat est l'opposé de celui qui était prétendument recherché. Ce sont les mensonges de la partialité antiaméricaine qui fabriquent l'unilatéralisme américain. L'aveuglement tendancieux et l'hostilité systématique de la plupart des gouvernements qui ont affaire à l'Amérique n'aboutis sent qu'à les affaiblir eux-mêmes en les éloignant toujours davantage de la compréhension des réa lités. Ce sont ces gouvernements mêmes, ennemis et alliés confondus, qui, remplaçant l'action par l'animosité et l'analyse par la passion, se condamnent à l'impuissance et, par effet de contrepoids, nourrissent la superpuissance américaine.


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  • Evelyn WAUGH - Le cher disparu

    "Le cher disparu", c'est sous ce titre que les services de pompes funèbres appellent la personne qui doit être inhumée et qui doit recevoir les services du l'entreprise funéraire.

    Car ce que nous n'avons pas en 2022, c'est le cadre d'écriture de ce roman. Apparemment, il y avait ou se développait des services funéraires assez excessifs pour l'époque avec un développement de l'embaument, un accompagnement qui tenait davantage du superflu que du nécessaire et une certaine forme d'exploitation de la détresse des vivants.

    Ce roman est une forme de marivaudage décalé. Trois personnes forment le centre: un anglais, un américain et une américaine. L'anglais est un peu poète et travaille dans un funérarium pour animaux, l'anglais est un maître de l'embaumement et l'américaine maquilleuse prometteuse des morts.

    Et l'anglais et l'américain vont se disputer la belle qui n'aura de cesse d'hésiter entre les deux, envoyant au courrier du coeur pour conseil ses hésitations entre l'anglais (qui serait très talentueux) mais cynique et l'américain sorte de vieux fils à maman mais qui lui ouvrirait une carrière dans l'entreprise où ce dernier est le Brillat-Savarin des cadavres.

    Ce court roman est cynique, drôle, excessif et se joue de tous les personnages pour servir un propos si ce n'est dénonciateur mais pour le moins critique. Ce n'est pas vraiment une satire mais la légèreté du ton permet une prise de distance humoristique  avec le sujet. Le sort de la belle est le meilleur exemple de l'excès du roman.


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