• Henri Laborit - Éloge de la fuite

    Henri Laborit - Éloge de la fuite

    C'est un étrange livre que voici.

    Henri Laborit est le père d'Emmanuelle Laborit. Il est surtout connu pour être un neurobiologiste.

    Ce livre a été écrit en 1974 (pas tout récemment donc pour un ouvrage mêlant philosphie et physiologie) et a eu apparemment un succès éditorial lors de sa sortie.

    Dans des chapitres intitulés la mort, l'enfance, l'amour, le bonheur, le travail... henri laborit offre sa vision de l'homme en tant que contraint par sa génétique, son conditionnement éducatif.

    Certains passages sont intéressants quand il décrit:

      "Nous ne vivons que pour maintenir notre structure biologique, nous sommes programmés depuis l’œuf fécondé pour cette seule fin, et toute structure vivante n’a pas d’autre raison d’être, que d’être. mais pour être elle n’a pas d’autres moyens à utiliser que le programme génétique de son espèce. Or ce programme génétique chez l’Homme aboutit à un système nerveux, instrument de ses rapports avec l’environnement inanimé et animé, instrument de ses rapports sociaux, de ses rapports avec les autres individus de la même espèce peuplant la niche où il va naître est e développer. Dés lors, il se trouvera soumis entièrement à l’organisation de cette dernière. Mais cette niche ne pénétrera et ne se fixera dans son système nerveux que suivant les caractéristiques structurales de celui-ci. Or, ce système nerveux répond d’abord aux nécessités urgentes, qui permettent le maintien de la structure d’ensemble de l’organisme. Ce faisant, il répond à ce que nous appelons les pulsions, le principe de plaisir, la recherche de l’équilibre biologique, encore que la notion d’équilibre soit une notion qui demande à être précisée. Il permet ensuite, du fait de ses possibilités de mémorisation, donc d’apprentissage, de connaître ce qui est favorable ou non à l’expression de ces pulsions, compte tenu du code imposé par la structure sociale qui le gratifie, suivant ses actes, par une promotion hiérarchique. Les motivations pulsionnelles, transformées par le contrôle social qui fournit une expression nouvelle à la gratification, au plaisir, seront enfin à l’origine aussi de la mise en jeu de l’imaginaire. Imaginaire, fonction spécifiquement humaine qui permet à l’homme contrairement aux autres espèces animales, d’ajouter de l’information, de transformer le monde qui l’entoure. Imaginaire, seul mécanisme de fuite, d’évitement de l’aliénation environnementale, sociologique en particulier, utilisé aussi bien par le drogué, le psychotique, que par le créateur artistique ou scientifique. Imaginaire dont l’antagonisme fonctionnel avec les automatismes et les pulsions, phénomènes inconscients, est sans doute à l’origine du phénomène de conscience."

    Le livre de Laborit est parfois emprunt de psychanalyse freudienne (qu'il conteste parfois et parfois non) et souvent de marxisme simpliste. C'est normal, cela ressemble beaucoup à une certaine France des années 70.

    Mais ce qui se dégage de son texte, c'est un certain sens du tragique, où l'homme (sans citer Spinoza) se croit libre car il ignore ce qui le détermine. Ici il s'agit donc de son éducation, de son renforcement lié au circuit de la récompense et de sa programmation génétique.
    L'amour en prend poru son grade; "Le mot d’amour se trouve là pour motiver la soumission, pour transfigurer le principe du plaisir, l’assouvissement de la dominance."
    La seule "fuite" possible, le seul espace de liberté étant l'imaginaire.

    Quelques horizons sont néanmoins possibles mais peu atteignables, voire illusoires. A propos de la politque:
    "nous avons dit dans un autre ouvrage pourquoi cette structure socio économiquene deviendrait efficace que si l'ensemble des population acquérait une connaissance de ce que nous avons appelé l'information généralisée et non plsu technique. Seule une telle information est susceptible de définir non plus les moyens d'obtention d'une certaine structure sociale, mais avant tout la finalité désirée par cette structure et de faire accepter cette finalité sur le plan mondial. Sans quoi on risque de retomber dans une recherche de dominances à tous les niveaux d'organisation humaine. C'est une banalilté de dire que c'est en définitive un choix de civilisatino devant lequel se trouve aujourd'hui placée l'espèce humaine. Il semble curieux de me voir ici parler de choix. Il s’agira, compte tenu d’un accès à la connaissance, d’une certaine conscience diffuse de ce vers quoi nous mènent nos comportements anciens, de la compréhension tardive des mécanismes qui les gouvernent, d’une nouvelle pression de nécessités à laquelle nous devrons obéir si l’espèce doit survivre. Il ne s'agit même pas de savoir  s'il est bel et bon que l'espèce survive, nous ne savons me^me pas si elle survivra. Mais il paraît certains que si elle doit survivre, sa survie implique une transformation profonde du comportement humain. Et cette transformation n'est possible que si l'ensemble des hommes prend connaissance des mécanismes qui le font penser, juger et agir"

    On retrouve ici tout un pan de littérature qui me convainc que rien ne sera possible tant que nous ne connaîtrons pas à la fois nos comportements spécifiques issus de notre philogénès et nos biais cognitifs.

    Un livre un peu dispersé qui laisse entrevoir un auteur un peu cabotin. Livre un peu daté mais qui déjà faisait montre d'une conscience de nos limites. Une hétéronomie scientifique. (plutôt ironique si on considère que cette hétéronomie est inclue en nous)

    [Y'en a qui l'ont lu?]

     

    "Ce que l’on peut admettre semble-t-il, c’est que nous naissons avec un instrument, notre système nerveux, qui nous permet d’entrer en relation avec notre environnement humain, et que cet instrument est à l’origine fort semblable à celui du voisin. ce qu’il paraît alors utile de connaître, ce sont les règles d’établissement des structures sociales au sein desquelles l’ensemble des systèmes nerveux des hommes d’une époque, héritiers temporaires des automatismes culturels de ceux qui les ont précédés, emprisonnent l’enfant à sa naissance, ne laissant à sa disposition qu’une pleine armoire de jugements de valeur. Mais ces jugements de valeur étant eux-mêmes la sécrétion du cerveau des générations précédentes, la structure et le fonctionnement de ce cerveau sont les choses les plus universelles à connaître. Mais cela est une autre histoire !

        Cette connaissance, même imparfaite, étant acquise, chaque homme saura qu’il n’exprime qu’une motivation simple, celle de rester normal. Normal, non par rapport au plus grand nombre, qui soumis inconsciemment à des jugements de valeur à finalité sociologique, est constitué d’individus parfaitement anormaux par rapport à eux-mêmes. Rester normal, c’est d’abord rester normal par rapport à soi-même. Pour cela il faut conserver la possibilité « d’agir »conformément aux pulsions, transformées par les acquis socio-culturels, remis constamment en cause par l’imaginaire et la créativité. Or, l’espace dans lequel s’effectue cette action est également occupé par les autres. Il faudra éviter l’affrontement, car de ce dernier surgira forcément une échelle hiérarchique de dominance et il est peu probable qu’elle puisse satisfaire, car elle aliène le désir à celui des autres. Mais à l’inverse, se soumettre c’est accepter, avec la soumission, la pathologie psychosomatique qui découle forcément de l’impossibilité d’agir suivant ses pulsions. Se révolter, c’est recourir à sa perte, car la révolte si elle se réalise en groupe, retrouve aussitôt une échelle hiérarchique de soumission à l’intérieur du groupe, et la révolte seule, aboutit rapidement à la suppression du révolté par la généralité anormale qui se croit détentrice de la normalité. Il ne reste plus que la fuite.

          Il y a plusieurs façons de fuir. certains utilisent les drogues dites « psychotogènes ». D’autres la psychose. D’autres le suicide. D’autres la navigation en solitaire. Il y a peut-être une autre façon encore : fuir dans un monde qui n’est pas de ce monde, le monde de l’imaginaire. Dans ce monde on risque peu d’être poursuivi. On peut s’y tailler un vaste territoire gratifiant, que certains diront narcissique. Peu importe, car dans le monde où règne le principe de réalité, la soumission et la révolte, la dominance et le conservatisme auront perdu pour le fuyard leur caractère anxiogène et ne seront plus considérés que comme un jeu auquel on peut, sans crante, participer de façon à se faire accepter par les autres comme « normal ». Dans ce monde de la réalité, il est possible de jouer jusqu’au bord de la rupture avec le groupe dominant, et de fuir en établissant des relations avec d’autres groupes si nécessaire, et en gardant intacte sa gratification imaginaire, la seule qui soit essentielle et hors d’atteinte des groupes sociaux.

         Ce comportement de fuite sera le seul à permettre de demeurer normal par rapport à soi-même, aussi longtemps que la majorité des hommes qui se considèrent normaux tenteront sans succès de le devenir en cherchant à établir leur dominance, individuelle, de groupe, de classe, de nation, de blocs de nations, etc. L’expérimentation montre en effet que la mise en alerte de l’hypophyse et la corticosurrénale, qui aboutit si elle dure à la pathologie viscérale des maladies dites « psychosomatiques » est le fait des dominés, ou de ceux qui cherchent sans succès à établir leur dominance, ou encore des dominants dont la dominance est contestée et qui tentent de la maintenir. Tous ceux-là seraient alors des anormaux, car il semble peu normal de souffrir d’un ulcère de l’estomac, d’une impuissance sexuelle, d’une hypertension artérielle ou d’un de ces syndromes dépressifs si fréquents aujourd’hui. Or, comme la dominance stable et incontestée est rare, heureusement, vous voyez que pour rester normal il ne vous reste plus qu’à fuir loin des compétitions hiérarchiques. Attendez-moi, j’arrive !"

                                                                                                    Henri Laborit

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