• vierge Marie



    Il y a des mystères qui nous arrivent au XXIè siècle emprunts d'une aura magnifique. Il y a des mythes qui fondent des civilisations, des cultures qui sont basées sur des entités surnaturelles qui viennent combler de multiples besoins cognitifs (cf Pascal Boyer).

    Certains mystères nous parviennent tout empoussiérés des parchemins redevenus sable sous le joug du temps. Certaines religions en font des jalons, des repères, des concepts sous lesquels se regroupent extasiés les fidèles. Semble-t-il, nécessaires icônes symboliques ou non, ce sont des symboles qui forment l'ineffable, l'impensable.
    Parfois, ces mystères sont déconnectés de nos connaissances, ils sont soumis aux interprétations multiples, aux conjectures psychologiques, aux élucubrations parfois, et d'autres non.

    C'est le cas du mystère de la virginité de Marie, mère de Jésus.

    Alors que l'église depuis Constantin, l'icônophlie et l'explosion du culte marial au XIIè sièle a fait de ce mystère un des cultes principaux de l'église catholique (hyperdulie), celui-ci a pour point de départ un problème de traduction.
    On dit que parfois certaines erreurs qui nous parviennent sont le fait de déformations de scribes, d'erreurs de bonne foi ou non qui se sont reproduites avec le temps, amplifiées, déformées puis rendues naturelles par la succession des générations légitimant, d'un parent à l'autre, la validité par autorité.

    C'est presque le cas ici.
    En fait, le point de départ du mystère qui n'en est pas un de la virginité mariale est lié à une traduction.
    Au IIè siècle av. JC, il y eut la Septante. C'était une traduction de la Torah en grec. (plus de précisions, en suivant le lien vers wikipedia: Septante)

    Or, dans l'ancien testament (et dans le livre d'Isaïe qui nous intéresse particulièrement) il y a beaucoup de prophéties qui annoncent la venue du Messie. (que le NT d'ailleurs cherchera à confirmer a posteriori), et dans le livre d'Isaïe le mot "Almah" est utilisé pour désigner celle qui est censée devenir enceinte du futur Messie. Almah est le terme hébraïque utilisé. Celui-ci signifie "jeune-fille" et donc vierge mais c'est un sens qui est induit (jeune-fille est la traduction que l'on trouve dans la traduction française de la Torah) et ce terme a été traduit par le mot grec "parthénos" qui signifiait vierge.


    Le problème de la superposition de ces mots et des concepts qu'ils recouvrent est plus bien sûr plus complexe (je mets un lien à la fin).
    C'est tout le problème des traductions que de faire correspondre des mots qui ne recouvrent pas exactement les mêmes concepts. Les deux termes sont polysémiques. Quels sont exactement les concepts recouverts par almah/parthénos?

    Le fait est que l'église catholique s'est satisfait de ce nouveau concept qui non seulement prophétisait a posteriori la naissance de leur Messie mais qui leur a permis de s'attribuer un élément surnaturel puissant venant se rajouter aux autres (transsubstantiation, trinité, résurrection...), cet agent surnaturel s'étant propagé de façon incroyable.

    Des quelques lectures glanées ici et là, certains disputent à d'autres une éventuelle tromperie: les juifs seraient revenus au IIè siècle sur le terme parce que justement prophétisant la venue du Messie ou les chrétiens auraient justement justifié à posteriori par ce mystère une erreur de traduction à laquelle ils devaient cohérence.

    Je ne peux pas trancher définitivement quoique j'ai bien ma petite idée: il me semble très probable, devant l'impossibilité physique d'être mère et vierge qu'une erreur de traduction soit à l'origine d'un des cultes catholiques les plus importants.

    Ce qui est dommage (quoique je ne maîtrise pas la teneur du discours des catholiques tendant à objectiver l'histoire et une science point trop radicale à leur goût qui, entre autres,  donne à Jésus des frères et sœurs) c'est que l'église se satisfasse de l'écart de traduction pour continuer à promouvoir cet agent surnaturel au détriment du doute linguistique. Car ce n'est pas que l'information soit cachée. Elle est disponible. C'est juste qu'elle est éludée, soigneusement ignorée, non parlée afin de ne pas sacrifier le concept de "Vierge Marie" si important pour la religion catholique tant au niveau du culte que de la continuité culturelle de ses fidèles.

    lien vers une étude linguistique (Christophe Rico)

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  • Tumulus Saint-Michel

     

     

    Malgré le titre, il faut l'avouer, ceci n'est pas le tumulus St-michel mais la chapelle St-Michel (1664/1813) ainsi qu'un calvaire construits au sommet d'un tumulus (-4500 av JC).

    C'est assez étonnant de par les dimensions de l'ensemble et le réemploi du tumulus. Nous ne connaissions pas le site mais alors que nous nous rendions aux alignements, une vue s'est imposée à nous, celle-ci

    Tumulus Saint-Michel (Carnac)

    De loin, on ne voyait qu'elle. Une chapelle surplombant le village, dressée sur un monticule qui ne pouvait être qu'artificiel au vu du paysage environnant.
    Et nous avons tout de suite compris: les autorités catholiques comme elles ont toujours su bien le faire depuis leur apparition et leur domination en Europe ont réemployé un ancien site (sépulture, lieu de culte...) pour asseoir leur propre culte. (cf article sur Ramsey MacMullen)

    Finalement, le plus étonnant dans tout ça, c'est que les croyants d'aujourd'hui ne ne voient pas ce qui se passe devant leurs yeux.
    Ce site est en fait une leçon de choses. Les hommes du néolithique ont construit un cairn dans lequel ils ont installé un tombeau et l'église ne pouvant détruire le monument l'a réemployé pour le faire sien. C'est-à-dire, que ne pouvant nier l'histoire, les autorités ecclésistiques ont préféré recycler le lieu à leur avantage.
    Tout est alors histoire de domination (de dominer, dominor, dominus, domus. C'est amusant de constuire une maison pour dominer d'ailleurs.), puisqu'en construisant la chapelle, l'église s'est assurée de dominer les cultes ancestraux, cherchant à montrer leur prééminence d'alors, les rendant caduques.

    Comment les croyants d'hier et encore plus ceux d'aujourd'hui ne voient pas l'ironie d'un tel agencement et ne prennent pas en compte l'histoire des peuples, des religions? Les spiritualités évoluent, changent, disparaissent au gré des hommes et des cultures.
    Le "Tumulus St-Michel" est une leçon de choses qui met à bas l'idée du déisme (reste encore la panthéisme). Cette superposition est un exemple frappant, visible que le sentiment religieux évolue avec le temps. Et si les hommes étaient moins orgueilleux, peut-être arrêteraient-ils de penser que leur culte est forcément le seul et le bon et pour l'éternité (on en a une belle preuve ici.)

    Le site est très beau: du haut du tumulus, on peut voir la mer. C'est certainement pour ça qu'il avait été choisi tant il domine le paysage.

    Finalement, je ne regrette qu'une chose: ne pas vivre assez longtemps pour voir un nouveau culte construire son propre batiment SUR la chapelle

     


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  • Puisque je travaille aussi en collège, j'ai accès à de chouettes documents.
    Là, j'ai entouré un truc qui m'a fait bondir (pas vraiment en fait, parce qu'on était en réunion pleinière et que ça aurait fait mauvais genre) Mais, considérez que j 'ai bondi à l'intérieur.

    En gros, l'Académie veut que nos élèves soient mobiles. C'est-à-dire? Mobiles dans leur esprit? Il faut que nous les formions afin que leur capacité à faire des liens fasse d'eux des individus non rigides capables de souplesse cognitive?
    En fait, cela ressemble étrangement aux imprécations d'un certain patronat qui depuis des années ne cesse de marteler que le travailleur de demain sera celui-qui à la fois osera la mobilité géogaphique afin de chercher (et bien sûr trouver, ah ah ah) l'emploi dans les bassins dynamiques afin de ne pas être prisonnier d'une région sinistrée et qui pourra aussi, au cours de sa carrière, oser changer de métier afin de s'adapter aux exigences d'un marché du travail qui sera instable.

    Cela pose différents problèmes.
    Premièrement, on sent bien et cela depuis des années que l'école (le secondaire ici) est une des articulations du monde du travail et qu'au lieu de chercher à former des esprits aux compétences élargies et qui seraient capables de s'adapter à un monde complexe sur des bases de savoirs de qualité, scientifiques, techinques ou d'humanités, elle préfère "préparer" (et donc elle valide en même temps) les élèves à un monde modelé par les mains du capitalisme actionnarial triomphant. L'élève devra être le travailleur soumis au monde incofortable qui nous a été façonné par les délocalisations, les obsolescences d'emploi, les contrats qui seront de plus en plus précaires, obligeant nos enfants à être les victimes consentantes et compétentes de la mobilité...
    Deuxièmement, plus prosaïque, comment devenir proriétaire d'un foncier, lorsque l'emploi (ou la chômage) sera mobile. La propriété de son logement a toujours été une sécurisation de sa propre vie, capital raisonnable à sa propre disposition en cas de coup dur. Il sera de plus en plus difficile à ceux qui n'ont pas d'héritage de devenir propriétaire quand on les obligera à la mobilité. Ou pour les plus chanceux(?), ils seront propritaires d'un crédit à vie.
    Troisièmement. S'agit-il d'une volonté de transformer l'éthos humain? L'homme a toujours cherché la stabilité (hors nomades, mais ceux-ci trouvent leur stabilité dans le groupe). La stabilité est la sécurité depuis...En gros, ici une volonté est affichée de déconstruire ce qui rend la vie confortable, acceptable.

    Est-ce le rôle des enseignants de préparer à ce que sera la vie? Certes. Mais la vie est aussi ce que nous en faisons et je ne pense pas que préparer des élèves à l'instabilité pour en faire de la chair à capital soit notre mission.
    Quant à ceux qui ne pourront pas être mobiles. il leur restera le RSA et la télévision.


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  • quatre

    4 mots:

    • vers 3 heures
    • la fenêtre
    • tyranosaure
    • j'ai souffert

     

    Ce devait être un des premiers exercices proposé à mes élèves. 

    C'est suite à cette histoire qu'un des mes propres enfants a tant voulu que j'écrive un nouveau texte avec un tyranosaure cette fois-ci vivant.

    Hier soir, je me suis couché éreinté. J'ai fait un match de foot terrible! Il faisait très chaud. J'ai bien du boire deux litres d'eau. je me suis effondré sur mon oreiller, 

    Quand, vers les 3 heures du matin, une énorme envie d'aller aux toilettes se fit sentir. C'était vraiement pressé. Je me suis alors assis au bord de mon lit pour mettre mes chaussons. Mais dans le noir, je ne les ai pas trouvés même en cherchant un peu en dessous. Alors que je cherchais un peu à quarte pattes, je me suis relevé brusquement (j'avais oublié que j'avais ouvert la fenêtre à cause de la chaleur) je me suis cogné brutalement le crane. J'ai crié comme pas possible. Je me frottai l tête en cherchant à sortir de ma chambre lorsque j'ai marché sur un objet pointu. Je me le suis carrément enfoncé dans le pied. J'ai encore hurlé de douleur. De rage, jai shooté dans l'objet qui, je l'imagine (car il faisait noir), a rebondi contre le mur et est venu se planter dans mon oeil. C'est en mettant ma main à mon visage que je me suis rendu compte que l'objet en question était le tyranosaure en plastique de mon petit frère.. Même en plastique, les tyranosaures sont redoutables.

    J'ai tatonné ensuite, les mains en avant, pour sortir de ma chambre et je me suis dirigé vers la porte. Je l'ignorais, elle était encore ouverte et mes mains positionnées en avant sont passées de chaque côté et je me suis pris la care contre le front. J'ai encore hurlé. Le temps de reprendre mes esprits, j'ai trouvé la poignée. C'est en ouvrant complètement la porte que de l'autre côté mon père m'a crié desssus

    "Non mais tu n'as pas bientôt fini de hurler en pleine nuit?" 

    Comme j'étais juste devant lui j'ai eu des sifflements dans les oreilles.

    -"Je voulais juste aller aux toilettes" ai-je répondu.

    -"C'est pas une raison pour crier m'a-t-il répondu énervé. Il était tellement hors de lui qu'il m'a ordonné de me recoucher. Je n'ai rien osé répondre.

    Maintenant, je suis dans mon lit. Il est 3h04 à mon réveil, il fait nuit noire, j'ai mal à l'oeil, au pied, au front, j'ai les oreilles qui sifflent, j'ai toujours envie d'aller aux toilettes et je n'ose pas me lever.

     


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  •  

    Très imparfait (beaucoup d'incohérences entre autres),ce texte me suit depuis pas mal de temps. Un personnage seul dans une situation improbable. Très remanié.

     

     

     

    Point de fuite

     

     

     

     

     

    Je ne sais toujours pas comment j'étais arrivé là mais j'y étais. C'était plat, très plat, blanc et où que je regardasse c'était plat et blanc. Une différence de teinte entre le ciel et  le sol me permettait juste de distinguer l'horizon. Et il était loin.

     Longtemps, je suis resté à regarder devant moi ou en l'air, les pieds plantés au sol, à attendre je ne sais quoi, un mouvement ou bien un bruit. Mais i n'y avait rien en périphérie de mes sens. Les seules choses que j'entendais étaient ma respiration, mes mouvements de pied et parfois le battement de mon coeur.

                Après avoir attendu, regardé partout, avoir marché quelques temps, je me suis mis à crier ; appelant quelqu’un, hurlant de simples sons de gauche à droite espérant une réponse ou un bruit en retour. 

                Rien ni personne ne me répondit. Pas même l'écho. Le son semblait se perdre avec l'horizon. Et j'avais beau regarder autour de moi, il était le même: droit. Il m'entourait  Je me sentais comme perdu au milieu d’un océan immobile. Cependant une sourde inquiétude me rongeait: malgré l'extrême clarté qui m'entourait,  je me sentais enfermé dans une pièce noire sans aucun point de repère. Le sol était opaque, blanc, blanc crème. Il y avait une légère différence entre le ciel et le sol mais j'avais du mal à distinguer lequel des deux était le plus foncé ou le plus clair. Le sol, sous mes pieds s'étendait aussi loin que je pouvais voir, même lorsque je sautais pour essayer de distinguer plus loin. Il n'y avait rien à voir que le sol, le ciel et mon corps: mes mains, mes pieds qui me semblaient étrangers ici.

                 Comme personne ne me répondit, je m’assis attendant que quelque chose se passe, qu'un événement se produise. J'étais assis en tailleur et je me concentrais sur la ligne d'horizon mais rien ne semblait venir, ni caravane, ni vol d'oiseau. Cette position  me permettait de pouvoir tourner sur moi-même sans grand effort afin d'observer ce qu'il y avait derrière moi ou plutôt ce qu'il n'y avait pas. Las d'attendre et mes genoux s'engourdissant j'ai étiré mes jambes sous moi, les ai allongées et posé mes mains derrière ma nuque fixant e qu'il y avait au-dessus de moi. N'ayant pas d'autre concept à me mettre sur la langue, je l'ai appelé le ciel. (Les poissons conçoivent-ils la surface de l'eau comme le ciel?)

     Je me suis retourné essayant de faire disparaître les fourmillements que j'avais dans les jambes. Et je me suis vautré sur le sol, mes mains sous le menton, attendant de voir quelque chose de différent au loin. Mon regard tentait de se faire plus perçant tenant de se concentrer sur un point fixe. Mais même ainsi rien ne se produisit, rien ne changea, les quelques mouvements que je crus voir n'était me semble-t-il que le fruit de mon imagination.

                 Je me suis relevé et me suis étiré, les mains sur les hanches. J’avais moi-même ce sentiment d’immuabilité que dégageait le lieu : je ne ressentais ni faim, ni soif et malgré l’attente que j’avais organisée, le sommeil ne semblait pas vouloir venir.

     

    C'est à ce moment que je me suis effondré, me suis mis à sangloter cherchant à me réfugier au plus profond de moi-même, me protéger des alentours en me recroquevillant au maximum. Après un temps incertain abandonné en moi, je me suis relevé et je me suis essuyé les joues avec ma manche et j'ai de nouveau regardé tout autour de moi. Ma crise n'avait rien provoqué. J'étais toujours là au milieu de nulle part.

     

                J'ai cru dormir trois fois, fatigué de ma vigie ou lassé du silence, alternant avec les regards avides sur l'horizon et les crises de larmes. Je ne sais pas combien de temps je suis resté au même endroit. Rien, rien ne changeait si ce n'étaient mes états d'âme. Je me suis encre enfoncé en moi et j'ai tenté de m'y enfoncer au maximum. Cela n'a pas fonctionné. D'ennui je me suis relevé. J'ai cru dormir trois fois, mais il me semble que c'était juste des moments d'abandon.

     

     

                  Tout droit me semblait la meilleure solution et a seule solution. Comme rien ne distinguait tel ou tel point. Comme tout était effroyablement pareil, j'ai fermé les yeux, tourné sur moi-même jusqu'à avoir le tournis. Et lorsque je me suis arrêté, le temps de reprendre mes esprits, j'ai retiré mon pull que j'ai posé par terre, j'ai regardé droit devant moi et je me suis mis à marcher.

     

     

     

                Je marchais, tentant d'aller le plus droit possible. Au début j’ai pris mon pull comme repère et je vérifiais souvent qu'il se trouvait bien dans mon dos. Où que j'alla, il ne pouvait que se trouver dans mon dos. Lorsqu'il a disparu derrière moi j'ai couru en arrière pour vérifier qu'il était bien là. Effectivement en quelques pas j’ai pu distinguer la bosse qu'il formait à l'horizon. Cette dune au loin m'a redonné du baume au cœur.  J'ai refait demi-tour et j'ai continué à marcher.

     

                J'évitais de me poser des questions qui de toutes les manières ne m'auraient pas apporté de réponses. Je marchais tachant de fixer un point imaginaire tout au loin et de m'y fixer. De temps en temps j'avais l'impression de voir ce point sous mes pieds lorsque je l'avais rejoint alors je le reprenais et le lançais du regard comme un hameçon sur l'horizon. Et de tirer pour l'atteindre de nouveau pour l'amener à moi, pour le rejoindre. C'est toujours lorsque j'arrivais à un point que je laissais parler ma fatigue et que je m'allongeais sur le sol. Toutefois avant de m'allonger, je fixais un nouveau point droit devant moi dans la continuité de ma trajectoire, je délaçais une de mes chaussures, sa pointe et ses lacets dans la direction du point qu'il faudra reprendre le lendemain. Cette chaussure, je la plaçais toujours loin de moi, de peur de la bouger pendant mon sommeil.

     

                Au bout d'un certain temps, je n'ai plus compté mes haltes, mes sommes, mes crises. Tout était rentré dans une vague routine. Je marchais, je m'arrêtais pour dormir, je regardais et rien n'avait changé. J'avais eu peur des mirages, que je puisse m'imaginer voir des choses à l'horizon. Mais je n'ai même pas eu cette chance: voir quelque chose qui change fusse-t-elle imaginaire. Toujours ce faible contraste entre le sol et le ciel, mes mains, mes paumes, mes pieds et c'est tout. De temps en temps j'abandonnais un vêtement, malheureusement je n'avais rien dans les poches. J'étais maintenant en caleçon et chaussettes, tenant mes chaussures à la main.

    Jamais je n'ai retrouvé un de mes vêtements au cours de ma marche. Je ne devais donc pas tourner en rond.

    J'ai fini par échafauder des théories. Tout d'abord, je n'étais pas à l'intérieur d'une sphère. A l'intérieur d'une sphère, il n'y aurait pas d'horizon. Par contre je pouvais être sur une sphère à l'intérieur d'une plus grande.

     

     

     

                J'ai eu aussi le sentiment d'être suivi, que quelqu'un me suivait. Je tournais alors la tête ma chaussure toujours pointée devant moi pour tenter de le surprendre. Mais rien n'y faisait. Il me collait et glissait pour se retrouver de l'autre côté. Que je me retourne de nouveau et il repassait dans mon dos. J'essayais alors de me déhancher, de me désarticuler toujours le pied pointé devant moi afin de le voir mais rien n'y faisait, il était trop rapide. J'essayais alors de lui parler pour l'amadouer puis je l'injuriais parce qu'il ne me répondait pas. Par moments je sentais même son haleine sur ma nuque mais le temps de tourner la tête et il me soufflait devant. Je me mis alors à lui faire la conversation pour le séduire, et peut-être aussi pour me passer le temps. Je pensais finalement qu’il était là pour me tuer. Mais rien n’y fit. Après avoir eu peur, à me retourner violement  chaque fois que je le sentais prêt à frapper, essayant de le toucher avant qu’il ne me touche, j’en vins à espérer qu’il passât à l’acte, je jouissais intérieurement de me sentir assommé, de recevoir le coup final à tout cela.

     

                La nuit aussi je l’espérais. Je m’endormais facilement au bout d’un certain temps ; C’était encore mieux : mourir dans mon sommeil. Et pourtant je faisais toujours le coup de la chaussure mais cette fois j’ôtais les deux, une que je mettais à distance et l’autre dans la même direction mais contre moi. Si je ne connaissais pas les intentions meurtrières de mon ami, je ne connaissais pas non plus s’il avait un but terroriste, me faire dévier de ma route. Et ça je n’aurais pu le supporter. Je ne devais pas quitter mon but, rien ni personne ne devait m’en faire changer, ni homme, ni rêve, ni maladresse. Je ne pensais pas que mon point était forcément le bon. Mais je l’avais choisi, c’était le mien. De toutes les manières je le voyais ce point, je le matérialisais. J’aurai joué à colin-maillard, que je l’aurai retrouvé ce point, ivre de tournis.

     

     

     

                Et puis il a disparu, à un réveil. Je ne le sentais plus. Où que je regardais le blanc, toujours le blanc mais seulement le blanc. Plus personne autour de moi. Je devrais donc trouver autre chose pour m’occuper.

     

                Et finalement j’ai joué à colin-maillard. Je m’imaginais que cela aurait pu être drôle de me perdre. Le matin lorsque je me réveillais je fermais les yeux, je tournais sur moi-même et m’arrêtais regardant droit devant moi mais j’étais programmé pour ce point. Cela faisait tant de temps que je le suivais. Je finissais toujours par le retrouver.  A croire que c’est lui qui me retrouvait, cet invisible. Je ne pouvais m’en écarter. Je ne pouvais le suivre, j’étais sa chose. Alors j’ai continué à le suivre. J’ai pensé quelques temps plus tard que ce n’était pas moi qui suivais le point mais que c’était lui qui me précédait. Doué d’intention il restait toujours à la même distance de moi. Que je courre, que je m’arrête, que je rampe, l’horizon restait toujours à l’horizon. L’expérience m’avait apprise l’immobilité ne m’apportait rien. Alors je continuais à marcher.

     

     

     

                A un réveil l’horizon avait changé, dans la direction de ma chaussure, la ligne entre le ciel et le sol était plus sombre. J’ai cru que comme Robinson Crusoé j’avais retrouvé mes traces, mon pull. Mais non en fait c’est tout autour de moi que ça avait changé, la ligne qui m’entourait était effectivement plus sombre et me semblait-il plus large. Alors je me suis mis à courir après avoir remis mes chaussures. Et ça bougeait : plus je m’avançais et plus ça changeait. Mais le plus surprenant c’est que tout autour de moi l’horizon bougeait dans les mêmes proportions, il me semblait que j’arrivais encore à le distinguer. Mais je ne savais plus si c’était l’habitude ou bien s’il y avait une différence de teinte. Plus j’avançais et plus la limite sombre avec le ciel et le sol semblait s’agrandir. C’était comme un anneau noir qui m’entourait. J’étais au centre d’un cercle blanc qui s’en allait en diminuant rattrapé de tous les côtés par un ruban, noir comme le néant. Je restais alors longtemps sans bouger ne sachant que faire, craignant ce qui allait arriver mais en en ignorant tout. Ne pouvant faire autre chose, j’ai continué à avancer. Le cercle noir s’agrandissait de plus en plus au fur et à mesure de ma marche. Mon point était on ne peut plus flou je ne savais où réellement le chercher. La direction je l’avais, mais je ne savais si je devais le trouver à ce nouvel horizon noir ou à la limite entre le blanc et le noir. Et j’ai continué à mon rythme marchant, dormant une chaussure défaite.

     

                Et puis c’est arrivé. A ce réveil je savais que j’y serais, à la frontière. Rempli d’angoisse et d’espoir j’ai marché sans rien changer à mes habitudes : fixer la direction et aller tout droit. Dorénavant je voyais vraiment bien ce cercle dans lequel j’évoluais et dont je semblais être le centre. Plus j’avançais et plus sa disparition était rapide.

     

     

     

                Maintenant je suis arrêté. Après avoir fait des petits pas le cercle blanc a désormais la taille de mes pieds et tout autour de moi le noir, si ce n’est à ma verticale ; un point blanc dans le ciel au milieu d’une nuit sans lumière. Je ne sais pas vraiment ce qu’est ce noir mais ça n’a pas d’importance. Encore un pas et le sol blanc va définitivement disparaître. Encore un pas et mon pied touchera autre chose. Peut-être qu’il n’y a pas de sol. Peut-être que bien plus tard le noir fera place au blanc, comme ça indéfiniment. Je n’avais rien d’autre à faire alors j’ai continué à marcher.

     


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