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    Ville

     

     

    La ville 

     

     

    Comme un cheval. Il s’était réveillé debout. Il avait certainement dormi debout.  Il n’avait pas de courbatures. Il avait ouvert les yeux et il était debout, comme s'il était planté là depuis longtemps. 

    Il ne connaissait pas du tout l’endroit. C’était plat, très plat, de longs immeubles de 15 étages environ mais de longueurs fort différentes étaient plantés dans le sol. Une porte en leur milieu et des centaines de fenêtres, ou de fermetures puisque ce n’étaient pas des carreaux mais de grandes plaques de pierre lisses et mouchetées qui tranchaient avec le béton des murs. Ces immeubles faisaient de parfaites perspectives. Ce paysage semblait se reproduire à l’infini. Jusqu’où son regard pouvait porter, les immeubles s’élançaient d’un côté comme de l’autre. 

    Une lumière blafarde transperçait la couche nuageuse uniforme. A bien observer, le temps était très humide: là où il était, là d’où il n’avait pas encore bougé, le sol était très meuble. C’était de la terre noire et grasse, un peu comme du compost. Et effectivement, en soulevant son pied droit et en pliant la jambe pour regarder sa semelle, de la terre restait accrochée sous sa chaussure. Tout le lieu était recouvert de terre. Ou plutôt la terre n’était pas recouverte de bitume: pas de route, pas de trottoir. D’ailleurs, pas de fils électriques, pas de poteaux, pas de voitures, juste ces immeubles effilés qui semblaient sortir de terre. Et des gens. Il ne les avait pas encore remarqués mais il y avait beaucoup de monde. Ils avançaient emportant à chacun de leur pas un peu de terre qui s’envolait de leur talon pour retomber ensuite lourdement. Aucun n’était immobile, tous avançaient mais dans un désordre indescriptible. Cela lui évoquait une ruche. Et tous regardaient en l’air, non pas le ciel mais les immeubles. Ce qui provoquait des collisions. Mais personne n’en avait que faire. Après le choc, chaque piéton qui s'était cogné à un autre repartait de son côté sans jamais avoir quitté des yeux les immeubles. 

    Ce fut d’ailleurs étonnant, vu la situation qu’il ne se soit pas encore fait renverser, lui immobile, entouré de cette circulation erratique. Cependant, c'est un choc avec un marcheur qui le bouscula vers l'avant et provoqua le premier pas. Il se mit à avancer. Il ne savait pas du tout s’y prendre et se fit bousculer à plusieurs reprises. Il trouva cela fort désagréable et s’imagina qu’il fallait beaucoup d’entraînement pour se déplacer comme tous les autres y arrivaient. C'est-à-dire avec beaucoup d’indifférence. Et bousculé comme un chien dans un jeu de quilles, il trouva refuge sur le pas de la porte d’un des immeubles. Après un énième choc, il se décida à entrer dans l’immeuble pour se protéger. C’est alors qu’il entendit une voix derrière lui qui lui dit :

    - «    Vous pensez avoir trouvé?    » 

                Mais le temps de se retourner alors qu’il avait ouvert la porte à moitié, il ne vit pas la personne qui lui avait adressé la parole. 

                A l’intérieur de l’immeuble, au rez-de-chaussée, il n’y avait rien si ce n’était un ascenceur au fond, à environ 3 mètres. Il le prit et appuya au hasard sur une des touches. Le mouvement très lent de l'appareil l'amena au 4ème étage; c'était le chiffre collé sur la paroi en face de l'ascenseur. Il put le lire lorsque la porte automatique s'ouvrit. Il glissa la tête et regarda à gauche puis à droite. De chaque côté, un long vestibule. De simples portes en bois se succédaient jusqu'au mur du fond que la lumière de l'ascenceur laissait juste deviner. Des portes des deux côtés. Etant donné la disposition des portes, chacune d'entre elles devait avoir sa fenêtre en pierre. Ce devait-être de petits logements. Et d'un bout à l'autre du couloir une moquette d'une couleur indéfinie venait se confondre avec celle, murale, de la même couleur. Il appuya sur un autre chiffre et arriva au troisième étage, il n'aperçut que le même paysage. Ce fut également le cas pour les quatre autres étages qu'il entreprit d'explorer. 

                Ce n'est qu'au huitième étage qu'il décida de sortir davantage que sa tête de l'ascenseur. Lorsque son pied se posa sur la moquette, il eut la même impression qu'à l'extérieur: cela lui collait au pied mais ici, rien ne restait collé. Il en avait une allure lente et un peu ridicule: le pied était soulevé bien haut comme s'il devait le décoller à chaque pas. Et c'est de cette manière qu'il arpenta le couloir sans rien voir d'autre que ces portes en bois, ces murs et cette moquette terreuse. Il tenta même d'ouvrir une des portes, mais rien. Elle refusa de s'ouvrir comme toutes les autres de l'étage dont il essaya méticuleusement d'actionner la clenche.  

                "Vous pensez avoir trouvé?" se remémora-t-il.

                Au dernier étage il arpenta de même le couloir; vérifiant toutes les portes mais cherchant en plus une ouverture au plafond, une échelle qui lui aurait permis d'accéder au toit. Mais rien. L'immeuble semblait fermé sur lui même. 

                Il redescendit alors au  rez-de-chaussée. Fit le tour de l'immeuble tout en évitant au mieux les marcheurs. Pas une échelle, pas une aspérité, rien ne venait briser la monotonie architecturale du bâtiment. Rien ne permettait de monter sur le toit. 

                Il passa le temps qui suivit à inspecter le plus d'immeubles possibles. Mais toujours le même résultat: le même décor, les même couleurs, les mêmes portes fermées. Les mêmes immeubles clos innombrables étaient répandus autour de lui et autour de ces gens. Tous ces gens qui regardaient les immeubles. Des jeunes, des vieux, beaucoup de vieux, des hommes, des femmes, peu d'enfants. 

                A un moment donné, il entendit un cri et vit quelqu'un se mettre à courir vers un immeuble, que pourtant rien ne différenciait des autres, et à y entrer. Il suivit immédiatement, ce comportement qui tranchait avec l'espèce d'hypnose qui semblait avoir pris toute cette foule qui marchait et se bousculait. Une fois dans le hall d'entrée il prit l'ascenseur qui s'y trouvait et partit à la recherche de l'individu qui s'était engouffré dans l'immeuble. Mais rien n'y fit: Il vérifia tous les étages sans trouver personne. Il n'existait pourtant pas d'autre issue, que l'ascenseur. Toutes les portes furent vérifiées et aucune d'entre elles ne s'ouvrit. Personne ne répondit à ses appels. L'immeuble semblait vide, comme si personne n'était rentré. Un rapide coup d'oeil autour du bâtiment lui confirma le fait qu'il était comme les autres. Rien ne le différenciait des autres. A part leur taille ils étaient tous comme les autres: vides. 

                Lorsqu'il sortit, personne ne le regarda. Personne ne lui adressa la parole. Et tous regardaient les blocs. Et tous semblaient chercher quelque chose.

                Il commença à suivre le mouvement. Au début il regarda les gens, cherchant il ne savait quoi sur leur visage, dans leur regard scrutateur. Personne ne le regardait. Il ne croisa jamais un regard. Il ne croisa d'ailleurs, lui semblait-il, jamais la même personne. S'il suivait une silhouette précise, il lui suffisait d'un regard porté ailleurs, vers une autre personne, un bâtiment et la personne suivie s'évinçait de son regard et il ne la retrouvait plus. De temps en temps une silhouette s'élançait au loin dans un immeuble. Mais après en avoir suivi encore trois, fouillant les immeubles pénétrés et ne trouvant rien, il finit par ne plus les suivre, sachant que rien ne ne différenciait des autres: ils étaient vides. Il finit d'ailleurs par prendre l'air fatigué des autres marcheurs, Il finit par ne plus regarder les gens si différents qu'ils finissaient par tous se ressembler. Il finit par ne plus regarder que les immeubles, cherchant ce que tout le monde cherchait et qu'il ignorait. Il finit par chercher sur les immeubles ce qu'il ne connaissait pas. 

     

                Une lumière. Une lumière semblait filtrer autour d'une des fenêtres de pierre d'un des immeubles. Après tout ce temps. Quelque chose changeait. Il bouscula les personnes autour de lui et s'engouffra en courant dans l'entrée de l'immeuble. Il était le seul  à avoir couru. 

    - «     Vous pensez avoir trouvé?     » 

                La même phrase qu'il avait entendu à chaque fois qu'il avait pénétré dans un immeuble. La même phrase sans intonation, ni masculine, ni féminine. Il n'aurait su dire s'il s'agissait de la même voix ou de la même personne. Il ne se retourna même pas pour chercher qui lui avait adressé la parole. De toutes les façons il n'aurait pas trouvé. Et puis il était pressé. S'il pensait avoir trouvé? Il ne savait pas mais ce changement méritait son empressement. Il devait chercher cette pièce éclairée. Ce seul appartement éclairé. Sa pièce éclairée. Personne ne l'avait suivi. 

                3ème étage, 7ème fenêtre à gauche. Il prit l'ascenseur et s'arrêta à l'étage en question. Lorsqu'il passa la tête par la porte et la tourna vers la gauche, un rai de lumière sous la septième porte lui signifia qu'il ne s'était pas trompé. Et qu'il avait bien trouvé quelque chose. Le trajet jusqu'à la porte lui rappela l'étouffement de ses pas  par la moquette semblable à la terre dehors. Hésitant il dépassa les six portes pour arriver devant la septième. La lumière suintait autour du montant en bois. 

                Il toucha la poignée, appuya sur la clenche et la porte en bois s'ouvrit vers l'extérieur. A l'intérieur, plus de trace de lumière, juste un noir profond à travers lequel il ne distinguait rien. Un pas en avant et il s'arrêta sur le pas de la porte. une sensation d'étouffement le saisit. Sentiment conforté par le fait qu'il se rendit compte que la porte s'était refermée derrière lui et que désormais il ne voyait plus rien. Il ne put avancer davantage dans la pièce, ses bras aveugles rencontrèrent immédiatement une cloison en bois. Il en était de même sur les côtés et juste au dessus de sa tête. Un souple et soudain glissement de son centre de gravité, et il se retrouva allongé. Il avait trouvé.

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