• Alfred DE VIGNY - Cinq Mars

    Alfred DE VIGNY - Cinq Mars

    J'ai acheté deux petits et jolis volumes à vraiment bon marché sur le marché justement de Caen. Ce sont des Lemerre (je fais mon savant mais c'est le bouquiniste qui me l'a appris. alors je transmets.) Pour les Normands, l'information amusante, c'est que Alphonse LEMERRE est d'origine saint-loise. D'après sa courte biographie sur Wikipedia, il était "saute-ruisseau" (le terme est charmant) à St-Lô, sorte de messager, avant de devenir imprimeur sur Paris.

    Les Lemerre, apparemment, sont des éditions dotées de larges marges conçues pour être reliées.

    Alfred DE VIGNY - Cinq Mars

     

    Ici dans ce premier roman historique de langue française (inspiré par les réussites de Walter Scott) Vigny nous invite à suivre Cinq Mars, l'autre nom de Henri Coiffier de Ruzé d'Effiat, jeune noble qui dans cette période opposant les cardinalistes et les royalistes va prendre le parti de ces derniers et qui tenta de renverser le pouvoir de Richelieu. Cette conspiration échoua et Cinq Mars fut décapité.

    Le roman est imparfait, l'équilibre du roman n'est pas tenu, certains personnages apparaissant tardivement et certains événement étant trop élliptiques. Cependant, que la langue est belle, les caractères des personnages parfois bien décrits!

    « Ce convive était à peu près du même âge que le maréchal ; mais, plus grave et plus circonspect que lui, il répondit quelques mots vagues, et fit un signe à son contemporain pour lui faire remarquer l’émotion désagréable qu’il avait fait éprouver à la maîtresse de la maison en lui rappelant la mort récente de son mari, et en parlant ainsi du ministre son ami ; mais ce fut en vain, car Bassompierre, content du signe de demi-approbation, vida d’un trait un fort grand verre de vin, remède qu’il vante dans ses Mémoires comme parfait contre la peste et la réserve, et, se penchant en arrière pour en recevoir un autre de son écuyer, s’établit plus carrément que jamais sur sa chaise et dans ses idées favorites. »

     

    A noter, que si Cinq Mars est le personnage éponyme, la véritable personnalité qui émerge à travers tout le roman est celui de Richelieu. C'est lui qui tient les rênes du pouvoir, c'est lui qui voit son intelligence mise en valeur. C'est lui qui ne sera jamais inquiété finalement. Cinq Mars, à côté, malgré son amour pour la future reine de Pologne, malgré sa vertu et sa jeunesse fait pâle figure à côté de Richelieu qui gouverne, qui incarne la Politique avec ce qu'elle contient d'intelligence, d'instrumentalisation des hommes, de machiavélisme.

    «  Ah ! interrompit le Cardinal, je te vois venir : tu veux me rappeler son entêtement à ne pas te donner le chapeau. Sois tranquille, j’en parlerai aujourd’hui au nouvel ambassadeur que nous envoyons. Le maréchal d’Estrées obtiendra en arrivant ce qui traîne depuis deux ans, que nous t’avons nommé au cardinalat ; je commence aussi à trouver que la pourpre t’irait bien, car les taches de sang ne s’y voient pas.

    Et tous deux se mirent à rire, l’un comme un maître qui accable de tout son mépris le sicaire qu’il paye, l’autre comme un esclave résigné à toutes les humiliations par lesquelles on s’élève.

    Le rire qu’avait excité la sanglante plaisanterie du vieux ministre durait encore lorsque la porte du cabinet s’ouvrit, et un page annonça plusieurs courriers qui arrivaient à la fois de divers points ; le père Joseph se leva, et, se plaçant debout, le dos appuyé contre le mur, comme une momie égyptienne, ne laissa plus paraître sur son visage qu’une stupide contemplation. Douze messagers entrèrent successivement, revêtus de déguisements divers : l’un semblait un soldat suisse ; un autre un vivandier ; un troisième, un maître maçon ; on les faisait entrer dans le palais par un escalier et un corridor secrets, et ils sortaient du cabinet par une porte opposée à celle qui les introduisait, sans pouvoir se rencontrer ni se communiquer rien de leurs dépêches. Chacun d’eux déposait un paquet de papiers roulés ou pliés sur la grande table, parlait un instant au Cardinal dans l’embrasure d’une croisée, et partait. Richelieu s’était levé brusquement dès l’entrée du premier messager, et, attentif à tout faire par lui-même, il les reçut tous, les écouta et referma de sa main sur eux la porte de sortie. Il fit signe au père Joseph quand le dernier fut parti, et, sans parler, tous deux ouvrirent ou plutôt arrachèrent les paquets des dépêches, et se dirent, en deux mots, le sujet des lettres. »

    Un roman attachant malgré ses défauts. A noter que la conspiration se joue use de l'Histoire pour toucher la vérité aux dépends du vrai. Je fais référence à sa "réflexion sur la vérité dans l'Art" qui précède le roman. Il use de cette différence pour instrumentaliser l'Histoire et s'en servir afin d'en faire un matériau. Je pense que nous sommes ici à une sorte de carrefour du romanesque, carrefour qui amène peut-être aux autofictions se jouant de ce qui s'est passé pour dire autre chose. Nous sommes peut-être ici, finalement dans la théorisation de la distinction entre le personnage historique, son nom et le personnage romanesque qui le porte.

    Et de ce que j'ai pu lire, le personnage de Cinq Mars n'est pas du tout celui du roman...

    « L’Idée est tout. Le nom propre n’est rien que l’exemple et la preuve de l’idée.

    Tant mieux pour la mémoire de ceux que l’on choisit pour représenter des idées philosophiques ou morales ; mais, encore une fois, la question n’est pas là : l’imagination fait d’aussi belles choses sans eux ; elle est une puissance toute créatrice ; les êtres fabuleux qu’elle anime sont doués de vie autant que les êtres réels qu’elle ranime. Nous croyons à Othello comme à Richard III, dont le monument est à Westminster ; à Lovelace et à Clarisse autant qu’à Paul et à Virginie, dont les tombes sont à l’Île de France. C’est du même œil qu’il faut voir jouer ces personnages et ne demander à la MUSE que sa VÉRITÉ plus belle que le VRAI ; soit que, rassemblant les traits d’un CARACTÈRE épars dans mille individus complets, elle en compose un TYPE dont le nom seul est imaginaire ; soit qu’elle aille choisir sous leur tombe et toucher de sa chaîne galvanique les morts dont on sait de grandes choses, les force à se lever encore et les traîne, tout éblouis, au grand jour, où dans le cercle qu’a tracé cette fée ils reprennent à regret leurs passions d’autrefois et recommencent par-devant leurs neveux le triste drame de la vie. »

    P.S: c'est aussi l'occasion pour Vigny de faire passer ses goûts: le plaisir de faire parler Corneille et Milton par exemple, l'ennui de lire Honoré d'Urfé...

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