• H.-G. WELLS - La Russie telle que je viens de la voir.

    En 1922, 5 ans après la prise de pouvoir des Soviets en Russie, Wells s'y rend pour un reportage avec en prime en entretien avec Lénine. C'est le compte-rendu que nous pouvons lire ici.

    Wells se considérait comme socialiste. Le contenu de son ouvrage montre qu'il n'avait pas de sentiment anticommuniste (au moins à l'époque, après, je ne sais pas). Il considère que le pays sous gouvernement tsariste était corrompu et que la Révolution était plus ou moins nécessaire. Il justifie d'ailleurs et les exactions des soviets et le contrôle du pays comme étant une sorte de nécessité. Nous pouvons y lire un certain enthousiasme pour le une sorte de politique de la refondation quelle que soit sa radicalité.

    Depuis longtemps, le gouvernement russe a été contraint d'envisager les remèdes contre la pénurie de presque toutes choses, pénurie qui résulte en partie de la prolongation de la guerre (car, depuis six ans, la Russie n'a pas un seal instant cessé d'être en guerre), en partie de l'effondrement général de l'organisation sociale et en partie du blocus.

    Dans ces conditions, et avec une circulation monétaire en complet désarroi, il fallait avant tout protéger les villes contre le chaos a qui n'eût pas manqué de résulter de l'acca parement, du mercantilisme, de la famine, empêcher aussi la lutte féroce qui se fut fatalement déclenchée pour la possession des dernières denrées comestibles et autres produits de première nécessité.

    La seule protection possible impliquait le contrôle total des disponibilités et le rationnement. Le gouvernement des soviets rationne par principe, il est vrai; mais aujourd'hui, en Russie, n'importe quel gouvernement se ver rait dans l'obligation de rationner.

    De fait, si, dans nos pays d'Occident, la guerre s'était prolongée jusqu'à l'époque actuelle, on rationnerait in nourriture, le vête ment et l'habitation à Londres et à Paris comme on le fait présentement à Petrograd et à Moscou.

    Toutefois, en Russie, le système dut s'organiser sur la base d'une production agricole impossible à contrôler et parmi une population qui est, par tempérament, indisciplinée, nonchalante, amoureuse de ses aiser. La lutte contre le renchérissement et le gaspillage est nécessairement cruelle. Quand un profiteur se fait prendre, un vrai profiteur, un de ceux qui opèrent sur une grande échelle, son affaire est claire : on le fusille. transaction commerciale la plus nor male est souvent punie avec sévérité.

    Tout commerce, quel qu'il soit, est qualifié: spéculation, et interdit par la loi. Pourtant, à Petrograd, on ferme les yeux sur un commerce d'aliments et de menus objets qui se pratique bizarrement à tous les coins de rues. Et même à Moscou, ce commerce s'exerce ouvertement, car c'est seulement par cette tolérance qu'on a pu amener le paysan à rapporter des vivres à la ville.

    Beaucoup d'affaires clandestines se traitent aussi entre acheteurs et vendeurs qui se connaissent. Tous ceux qui le peuvent suppléent de cette façon à l'insuffisance de leurs rations légales.

    Autre extrait:

    Le parti communiste, quelque critique qu'on puisse lui opposer, personnifie une idée et on peut compter sur lui pour la dé fendre.

    Il représente un élément moral supérieur à tout ce qui lui a été opposé jusqu'ici.

    En autorisant les paysans à s'approprier les terres des grands propriétaires, en faisant la paix avec l'Allemagne, il s'est assuré l'appui passif de la masse rurale.

    Dans les grandes villes, grâce à un nombre effroyable d'exécutions, il a restauré l'ordre.

    A une certaine période, quiconque était trouve en possession d'une arme sans auto risation était fusillé. Le procédé était grossier et sanglant, mais

    il s'est trouvé efficace. Pour conserver le pouvoir, le gouverne ment communiste organisa des commissions extraordinaires disposant de pouvoirs illi mités et écrasa toute opposition par la ter reur rouge. Une grande partie des actes de cruauté et d'épouvante imputables à cette terreur doivent être attribués au fait qu'elle fut exercée par des hommes à l'esprit étroit : nombre de ces représentants agissaient dans un sentiment de haine sociale et dans la crainte d'une contre-révolution.

    Du moins, si elle était fanatique, elle était honnête. Quelques actes individuels d'atrocité mis à part, ces hommes n'ont tué que pour des raisons déterminées, dans un but déterminé. Leurs effusions de sang se distinguent des sottes boucheries sans but du régime Denikine, lequel, m'a-t-on assuré, se refusait même à reconnaître et à respecter la Croix Rouge bolcheviste.

    Aujourd'hui, je crois le gouvernement bolcheviste de Moscou aussi solide que n'im porte quel autre gouvernement d'Europe.

    De même, à ce que j'ai constaté, les rues des villes russes offrent autant de sécurité que celles de n'importe quelle ville d'Europe.

    Wells n'est pas dupe de la misère et n'est pas non plus un thuriféraire du nouveau régime même s'il semble aveuglé par l'illusion des possibles. il rapporte de façon amusante une visite dans une école "Potemkine" qu'il visite et où les élèves lui disent quel l'auteur anglais le plus important est... H.-G. Welles lui-même.

    Ce qu'il soulève principalement, c'est le fait que le nouveau régime n'était pas préparé à prendre le pouvoir dans un pays qui d'après Marx n'avait pas les caractéristiques d'un pays où la révolution devait avoir lieu (cad un pays industrialisé).

    Il raconte le dénuement des hommes, des scientifiques coupés des échanges internationaux.

    Un de ses propos qui revient plusieurs fois, c'est qu'il est persuadé que les autres pays dans le même état que la Russie auraient vécu le même type de renversement de régime:

    La Russie d'aujourd'hui est une immense ruine, tel est le fait primordial dont il faut se pénétrer.

    La révolution communiste et le gouvernement communiste, que je me propose de décrire dans un prochain article, ne sont que des conséquences de ce fait. Ils ont jailli des ruines, soul milieu qui ait pu leur être propice. Il importe au plus haut degré que les peuples d'Occident se pénètrent bien de ces vérités.

    Si la grande guerre s'était prolongée un an ou deus de plus, l'Allemagne d'abord, les autres puissances ensuite se seraient déroulées comme la Russie.

    Le cours des événements aurait pu être influencé par des conditions spéciales à chaque pays, mais le résultat partout aurait été le même.

    Ce que nous avons vu en Russie n'est, en somme, que le résultat, sur une plus grande échelle, d'un état de choses semblable à celui vers lequel se trouvaient entraînés la Grande-Bretagne et les autres pays belli gérants de 1918.

    La disette que nous constatons en Russie, nous avions commencé à en souffrir en Angleterre.

    On rationne en Russe comme on a rationne en Angleterre et ailleurs.

    Mais chez nous les lois qui régissent le rationnement sont mal appliquées et inefficaces. En Russie, on n'inflige pas d'amendes au profiteur, on le fusille.

    Au lieu du Décret pour la défense du royaume qui, en Angleterre, réglementait la répartition des denrées, poursuivait les défaitistes, les espions, les profiteurs, etc., nous voyons en Russie la Commission extraordinaire. Certaines tensions qu'en Angleterre nous ne considérions que comme de simples en nuis, ont pris la proportion de calamités en Russie. Voilà toute la différence.

    D'ailleurs, il est très possible que l'Europe occidentale soit entraînée par le courant des événements vers un écroulement semblable à celui qu'on trouve en Russie.

    Quant à moi, je ne suis pas le moins du monde certain que nos pays soient hors de danger.

    On peut parfaitement se demander si la guerre, l'amour exagéré du bien-être, la spéculation improductive, ne gaspillent pas en ce moment davantage que ce que nous arrivons à produire.

    Auquel cas, notre propre écroulement banqueroute, disette universelle, détraquement social et politique avec toutes leurs conséquences la grande subversion en un mot, ne saurait être qu'une question de temps. (nous retrouvons là le goût romantique pour l'effondrement)

    Le dernier chapitre qui raconte l'entrevue (difficilement obtenue dans ce régime déjà très bureaucratique) avec Lénine se nomme "le rêveur du Kremlin". Le titre du chapitre teinte le personnage alors que rappelons-le le NKVD et les camps de concentration étaient déjà mis en place. Lénine se plaint que la révolution russe ne puisse se mettre en place sans la révolution mondiale. Nous pouvons y voir déjà la prise de conscience que l'utopie communiste en son coeur est déjà vouée à l'échec.

    Au milieu de l'échange, cette phrase effroyable de Wells.

    "Ce n'est pas seulement l'organisation matérielle d'une société qu'il vous faut entreprendre dis-je encore, c'est tout un peuple auquel il vous faut donner une mentalité nouvelle. Les Russes sont par habitude trafiquants et individualistes; c'est leur âme même et leurs instincts qu'il vous faudra complètement repétrir si ce monde nouveau doit survivre."

    Et toujours dans l'échange cette même antienne il y a un siècle sur le capitalisme (qui pourtant aura sorti tellement de personnes de ma misère et de la faim) de la part de Wells, socialiste et de Lénine communiste

    "Pour moi, expliquai-je, je crois qu'au moyen d'une campagne d'éducation civique campagne soutenue et de grande envergure le système capitaliste actuel pourrait être civilisé et changé en un système collectiviste universel.

    Lénine, par contre, a épousé, il y a déjà plusieurs années, le dogme marxiste de l'inévitable lutte des classes et de la suppression totale du capitalisme comme prélude essentiel à toute tentative de reconstruction, le dogme de la dictature du prolétariat, etc.

    Il lui fallait donc soutenir, et il le soutint à nouveau, que le capitalisme moderne est incurablement rapace, gaspilleur, réfractaire à tout perfectionnement.

    Il lui fallait soutenir et il le soutint, que le capitalisme moderne continuera à exploiter l'héritage de l'humanité, stupidement et sans aucun but déterminé, qu'il combattra et empêchera toute administration des ressources nationales en vue du seul intérêt général, et que périodiquement, inévitablement, il amènera la guerre sur le monde."

     

    Un ouvrage précieux pour comprendre comment la révolution bolchévique pouvait être perçue dans les années 20 par les sympathisants

     

    P.S. de façon surprenante, au milieu de tous les noms de dirigeants russes cités, n'apparaît pas celui de Staline qui prendra pourtant le pouvoir à la mort de Lénine début 1924.

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