• Jean Baudrillard - La société de consommation

    Jean Baudrillard - La société de consommation

     

    "Au lieu d'égaliser les chances et d'apaiser la compétition sociale (économique, statutaire), le procès de consommation rend plus violente, plus aiguë la concurrence sous toutes ses formes. Avec la consommation, nous sommes enfin seulement dans une société de concurrence généralisée, totalitaire, qui joue à tous les niveaux, économique, savoir, désir, corps, signes et pulsions, toutes choses désormais produites comme valeur d'échange dans un processus incessant de différenciation et de surdifférenciation."

    Jean Baudrillard, La société de consommation, 1970

    Ce qu'il y a de pratique parfois avec les essais, c'est qu'on n'a pas de preuve à apporter. L'auteur écrit ses intuitions, cite des noms et développe sa théorie.

    Baudrillard semble inspiré par la sémiologie. Avec lui, tout est signe, il n'y a plus d'individus, d'objets, de compétences, que la société de consommation a transformé en de multiples réseaux de signes, qui entrent tout le temps en concurrence sur fond de marché de différenciation. C'est relativement intéressant en tant qu'il décale la réflexion. Il ne s'agit pas de penser l'objet en tant qu'objet ni de nos rapports avec mais d'identifer ce qui chez tous les acteurs de la consommation en tant que signe est vecteur de concurrence.

    Il y a queqlues fulgurances, des analyses qui 48 ans après tiennent encore le coup en 2018:

    " La masse des consommateurs ne vit-elle pas la profusion comme un effet de nature, environnée qu’elle est par les phantasmes du pays de Cocagne èt persuadée par la litanie publicitaire que tout lui sera donné d’avance, et qu’elle a sur la profusion un droit légitime et inaliénable ? La bonne foi dans la consommation est un élément nouveau ; les nouvelles générations sont désormais des héritières : elles héritent non plus seulement des biens, mais du droit naturel à l’abondance."

     

    "Le système industriel, ayant socialisé les masses comme forces de travail devait aller plus loin et s'accomplir et les socialiser (c'est-à-dire les contrôler) comme force de consommation"

    "Tous égaux devant les objets en tant que valeur d'usage, mais pas du tout devant les objets en tant que signes et différences, lesquels sont profondément hiérarchisés"

    À propos du corps:
    "Il faut que l'individu se prenne lui-même comme objet, comme le plus beau des objets, comme le plus précieux matériel d'échange, pour que puisse s'instituer, au niveau du corps déconstruit, de la sexualité déconstruite, un processus économique de rentabilité."

    À propos des loisirs:
    "Pas plus que la consommation dont il participe totalement, le loisir n'est une praxis de satisfaction. Du moins il ne l'est qu'en apparence. En fait, l'obsession du bronzage, cette mobilité effarée au fil de laquelle les touristes "font" l'Italie, l'Espagne et les musées, cette gymnastique et cette nudité de rigueur sous un soleil obligatoire, et surtout ce sourire et cette joie de vivre sans défaillance, tout témoigne d'une assignation totale au principe de devoir, de sacrifice et d'ascèse. C'est la "fun-morality" dont parle Riesman, cette dimension proprement éthique du salut dans le loisir et le plaisir, dont nul désormais ne peut se dispenser - sauf à trouver son salut dans d'autres critères d'accomplissement."

    Cet essai vise donc à déconstruire l'apparente normalité de notre société vue sous le prisme totalitaire de la consommation. Il élabore une théorie de la consommation (basée donc sur les signes) et ensuite analyse les champs des mass-média (dont la publicité), le sexe (dont l'érotisation) et les loisirs.
    Tout peut se lire selon lui selon cet axe du signe consommé, mis en concurrence. Même ceux qui s'opposent à cette société de consommation seraient des révélateurs (en négatif) de cette société. Ce n'est donc pas une analyse très scientifique puisqu'il ne la laisse pas sa théorie être réfutable. En même temps, il écrit une thèse totaliste.

    L'exercice est intéressant mais paraît parfois un peu vain, dénué de preuves. Il s'agit souvent de phrases à l'emporte-pièce inscrite sous le sceau de l'évidence, mettant en italique certaines de ses phrases, comme s'il voulait en faire une force à citation.

    Quelques questions restent en suspens: était-il un des premiers à penser la société de consommation en France (citant Galbraith à foison, on peut penser que non pour l'étranger). Peut-être voulait-il le faire à sa sauce, transformant son essai en exercice de sémiologie considérant que cet axe rendait la critique plus pertinente?
    Il parle de différenciation. Quel est le lien avec Bourdieu qui parle de distinction?
    Qui plus est, cet essai identifie "la société de consommation en tant qu'elle est "société de consommation". Il ne la place pas dans une optique hisorique ou sociale. Il n'y a pas d'acteurs, il n'y a pas de responsables, il n'y a pas d'humains agissant selon des biais particuliers. ll fait l'impasse sur ce qu'est l'homme et le pourquoi. Il ne cherche pas à comprendre comment cela arrive mais comment cela fonctionnerait selon un biais unique.

    Et 48 ans après, on ne peut cependant s'empêcher de se dire qu'il a bien identifié un bon nombre de caractéristiques de la consommation en système et de ses conséquences.

    [Y'en a qui l'ont lu?]

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