• Maurice Barrès - La colline inspirée

     

    Comment y suis-je venu? Parce qu'il figure dans les 25 romans du Grand prix des Meilleurs romans du demi-siècle.

    Je connaissais aussi Barrès (même si je ne l'ai jamais lu) de par ses positions nationalistes.

    Ici, rien de national, Maurice Barrès commence par un chapitre sur lles lieux où souffle l'esprit. il disserte joliment sur ces lieux qui semblent habités par une beauté métaphysique quelle que soit la religion du moment:

    « Il est des lieux qui tirent l’âme de sa léthargie, des lieux enveloppés, baignés de mystère, élus de toute éternité pour être le siège de l’émotion religieuse. L’étroite prairie de Lourdes, entre un rocher et son gave rapide ; la plage mélancolique d’où les Saintes-Maries nous orientent vers la Sainte-Baume ; l’abrupt rocher de la Sainte-Victoire tout baigné d’horreur dantesque, quand on l’aborde par le vallon aux terres sanglantes ; l’héroïque Vézelay, en Bourgogne ; le Puy-de-Dôme ; les grottes des Eyzies, où l’on révère les premières traces de l’humanité ; la lande de Carnac, qui parmi les bruyères et les ajoncs dresse ses pierres inexpliquées ; la forêt de Brocéliande, pleine de rumeur et de feux follets, où Merlin par les jours d’orage gémit encore dans sa fontaine ; Alise-Sainte-Reine et le mont Auxois, promontoire sous une pluie presque constante, autel où les Gaulois moururent aux pieds de leurs dieux ; le mont Saint-Michel, qui surgit comme un miracle des sables mouvants ; la noire forêt des Ardennes, tout inquiétude et mystère, d’où le génie tira, du milieu des bêtes et des fées, ses fictions les plus aériennes ; Domremy enfin, qui porte encore sur sa colline son Bois Chenu, ses trois fontaines, sa chapelle de Bermont, et près de l’église la maison de Jeanne. Ce sont les temples du plein air. Ici nous éprouvons, soudain, le besoin de briser de chétives entraves pour nous épanouir à plus de lumière. Une émotion nous soulève ; notre énergie se déploie toute, et sur deux ailes de prière et de poésie s’élance à de grandes affirmations. »

    « Tout l’être s’émeut, depuis ses racines les plus profondes jusqu’à ses sommets les plus hauts. C’est le sentiment religieux qui nous envahit. Il ébranle toutes nos forces. Mais craignons qu’une discipline lui manque, car la superstition, la mystagogie, la sorcellerie apparaissent aussitôt, et des places désignées pour être des lieux de perfectionnement par la prière deviennent des lieux de sabbat. C’est ce qu’indique le profond Gœthe, lorsque son Méphistophélès entraîne Faust sur la montagne du Hartz, sacrée par le génie germanique, pour y instaurer la liturgie sacrilège du Walpurgisnachtstraum. »

    Puis il nous emmène en Lorraine, auprès de la colline de Sion-Vaudémont. C'est là qu'on vécu et officié les trois frères baillard, trois prêtres qui ont défrayé la chronique. Au hasard de la bilbliothèque de Nancy où il découvre des archives concernant les trois frères Baillard. Et c'est à partir de ces éléments qu'il va nous faire le récit de cette hérésie du XIXème siècle.

    les trois frères Baillard sont des prêtres de campagne, respectés. L'aîné au sortir du séminaire, attaché à l'histoire de la colline va racheter un séminaire et tenter d'y installer un des soeurs.

    « Vers 1840, sous l’étiquette d’Institut des frères de Notre-Dame de Sion-Vaudémont, la sainte montagne, grâce à l’impulsion des messieurs Baillard, présentait l’image d’une ruche active et industrieuse, où la prière et le travail se succédaient avec bonheur. Beaux bâtiments conventuels, jardins vastes et bien entretenus, ferme modèle au village de Saxon, pensionnat de jeunes gens, grands ateliers pour menuisiers, maréchaux ferrants, charrons, peintres et sculpteurs, tailleurs de pierre, tailleurs d’habits, maçons, fabricants de bas au métier, et même une petite librairie pour la propagande des bons livres. Aux jours de fêtes, de belles cérémonies, des prédications émouvantes, des chants et de la musique attiraient de toutes parts les fidèles éblouis autant qu’édifiés. Et pour couronner la visite de Sion, une surprise charmante était réservée aux plus distingués des pèlerins. Jamais les prêtres ou les laïques considérables qui avaient suivi les pieux offices ne s’en seraient retournés sans être descendus à Saxon. Là, dans la paix profonde du village enfoui au milieu de ses vergers, à l’intérieur de la courbe et pour ainsi dire dans le sein de la colline, ils trouvaient les religieuses, assises sur des bancs à l’ombre de leur couvent. Elles formaient un petit jardin virginal. C’étaient les sœurs quêteuses, celles du moins qui, pour l’instant, se reposaient entre deux voyages. »

    Léopold baillard et les religieuses étaient des gens du petit monde. L'église s'opposa à eux lorsqu'ils essayèrent de démontrer qu'un miracle avait eu lieu au sein de la congrégation. Léopold se vit retirer alors son titre de Supérieur général de la Congrégation des Frères de Sion-Vaudémont.

    Puis il eut une vision, une sorte de spectre lui rendit visite.

    C'est à cette période qu'il alla à la rencontre de Vintras qui habitait alors à Tilly (dans le Cavados d'ailleurs). Vitras était à la tête d'un mouvement sectaire, hérésiaque. il se disait également l'incarnation d'Elie.

    Et c'est toute cette histoire que nous racontre Barrès: comment les trois frères sur cette colline, à son sommet et à sa base vont tenter de sauver leur congrégation, espérer l'apocalypse dont ils seront sauvés d'après Vintras, comment ils vont être remplacés par de jeunes prêtres, comment ils vont se mettre à dos une partie de leurs ouailles.

    C'est une triste histoire qui nous est racontée ici: celle d'une forme de déchéance de personnes sincères au milieu d'un monde qui ne veut plus de miracles, qui rejette les visions (que n'eussent-ils vécu au IVème siècle), des hommes d'église simples, sincères dans leur foi, naïfs peut-être.

    C'est aussi le récit de tout un processus d'endoctrinement, d'isolement propre aux processus sectaires: biais de confirmation, bulles cognitives, radicalisation.

    J'ai bien aimé suivre la lente et tragique descente aux enfers de ces personnages persuadés par les "révélations" d'Eugène Vintras. leur condition populaire, la manière dont ils ont vécu sur et autour de la colline au milieu des croyants de même condition qu'eux. Leur fin misérable ou pardonnée donne une saveur très humaine à leur errance théologique.

    « L’âme de Léopold délivrée revient-elle sur la sainte colline, voltige-t-elle autour de ces murs où, pendant un demi siècle, il crut entendre un appel, et parmi ces landes pleines pour lui d’étranges merveilles ? Personne, aucun berger, nul pèlerin attardé, fût-ce par les temps de ténèbres et de tempête, n’a croisé sur la haute prairie les fantômes de Léopold, de Thérèse, de la Noire Marie, de François, de Quirin. De leurs tertres décriés, la croix plantée en grande pitié a disparu. Dans le cimetière, contre l’église, je n’ai ramassé au milieu des orties, qu’un débris d’ardoise qui porte leur nom. Mais là-haut, on respire toujours l’esprit qui créa les Baillard. »


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  • Pour une brève histoire de l’islamogauchisme
    Ce texte a été initialement publié dans La Revue des deux mondes, octobre 2018.

    L’islamo-gauchisme existe-t-il ? Au vrai, la question mérite d’être posée, dans la mesure où aucune organisation d’extrême-gauche au monde n’assume l’étiquette. Il s’agit plutôt d’une désignation hostile et critique. Est-elle réelle ou fantasmatique ? Que recouvre-telle et que signifie-t-elle ?

    Comme le disait le président Mao, « le rebelle vit dans la population comme un poisson dans l’eau ». Depuis leur origine, les groupes révolutionnaires ont pour objectif principal de se fondre dans les masses pour mieux les orienter. Si celles-ci deviennent islamistes ou s’entichent de tel ou tel personnage religieux, les marxistes doivent leur apporter un « soutien critique ». Tel est dès 1920 l’enjeu du Congrès des peuples d’Orient, qui se tient à Bakou sous l’égide de l’Internationale communiste. La stratégie qui est définie est celle du soutien aux « luttes de libération nationale ». On épouse l’affect de la foule. Puis, dans un second temps, on tente de la faire évoluer dans une direction révolutionnaire.

    En vérité, les différents groupements n’ont jamais cessé de suivre la ligne du congrès de Bakou. À la fin des années 1960, on voit ainsi de nombreux cénacles maoïstes appuyer la « Théologie de la libération », un courant catholique né au Brésil sous la houlette du théologien Leonardo Boff et du prêtre dom Helder Camara. Les ecclésiastiques qui défendent cette position tiennent le Christ pour le premier de tous les guérilleros. Être fidèle à l’évangile, c’est donc prendre les armes aux côtés des mouvements prosoviétiques ou prochinois.

    Plus tard, en 1979, quand les mollahs s’emparent du pouvoir en Iran, l’Organisation communiste internationaliste (OCI), trotskiste, apporte son soutien à l’ayatollah Khomeiny : « La crise révolutionnaire est ouverte en Iran. La révolution est inévitable », s’écrie l’organe du mouvement, La Vérité, en février 1979. Derrière la révolution islamiste se profile la révolution prolétarienne…

    Dans un même esprit, la Quatrième Internationale, mouvement trotskiste présent dans plus de quatre-vingt pays, dont le parti frère est aujourd’hui en France le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), a toujours évité de s’octroyer une section israélienne, pour ne pas déplaire aux camarades arabes.

    C’est toutefois l’attentat du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center qui constitue un tournant décisif. Dans les mois qui suivent, la plupart des groupes stigmatisent, non les auteurs de l’attentat, mais l’islamophobie, qui, selon eux, grimpe avec force. La Grande-Bretagne se trouve alors en pointe. Le principal mouvement trotskiste anglais se nomme le Socialist Workers Party (SWP). En 2004, cette puissante organisation, bien implantée dans les syndicats, impulse une coalition électorale nommée le Respect Party, dont le porte-parole est un truculent travailliste, qui n’est pas sans évoquer Jean-Luc Mélenchon : George Galloway. Galloway a lui-même rompu en 2003 avec le Parti travailliste car il refusait de soutenir l’intervention en Irak.

    L’originalité du Parti du Respect, c’est qu’il est essentiellement vertébré par des membres du SWP, alliés à des adhérents de la Muslim Association of Britain (MAB), qui sert de paravent aux Frères musulmans. L’invocation du « respect » est d’ailleurs directement liée à l’Islam. Il s’agit en effet de « respecter » les femmes voilées et les coutumes musulmanes.

    Le SWP contrôle sur le plan international une coordination de mouvements révolutionnaires, organisés dans la Tendance socialiste internationale (International Socialist Tendancy). En 2004, la TSI passe un accord tactique avec la Quatrième Internationale : dans les pays où cette dernière est faible, ses partisans doivent rallier les sections de la TSI. Dans ceux où elle est forte, les membres de la TSI doivent rejoindre ses sections territoriales. Aussitôt, les militants anglais de la Quatrième Internationale rejoignent le SWP. En France, les membres de la TSI animent un petit groupe nommé Socialisme par en bas (SPEB), dont fait partie la future députée insoumise Danièle Obono. Immédiatement, SPEB rallie la section française de la Quatrième Internationale, à l’époque la Ligue communiste révolutionnaire[1].

    L’alliance entre la TSI et la Quatrième Internationale se concrétise en octobre 2004 lors du Forum social européen de Londres, un rassemblement altermondialiste qui voit converger des militants de toute l’Europe. Ceux-ci observent avec circonspection une réunion de femmes voilées, protégées par un service d’ordre trotskiste. Mieux encore : la vedette du Forum social européen, qui prend la parole et recueille une ovation, est le théologien Tariq Ramadan.

    Le surgissement de Tariq Ramadan en 2004 mérite une explication. Nous savons que dans l’esprit des activistes d’extrême-gauche, les islamistes sont les victimes d’une islamophobie injustifiée. Les soutenir, c’est par ailleurs se mêler aux masses arabes. La TSI appelle ainsi à défendre « le droit des femmes à porter le voile ». L’ennui, c’est que les islamistes sont très divisés entre eux. Lesquels doit-on soutenir ? Le choix de la TSI se porte rapidement sur les Frères musulmans, et principalement sur Tariq Ramadan. Les révolutionnaires veulent en effet privilégier les islamistes qui leur semblent porteurs d’un message social. Or, la stratégie des Frères musulmans est celle de l’islamisation progressive des sociétés laïques. Cette islamisation passe par l’ouverture d’écoles coraniques et par la mise en place de réseaux d’aide sociale (bureaux d’emploi, dispensaires). Dans la mouvance des Frères musulmans, Tariq Ramadan passe en outre pour un « gauchiste », car il met en avant la stratégie des dispositifs d’aide. Si quelqu’un mérite le qualificatif d’islamo-gauchiste, c’est alors sans doute lui. Il incarne aux yeux des islamistes une « aile gauche » des Frères musulmans. Il constitue en tout cas dans les années 2000 la principale passerelle entre l’extrême gauche trotskiste et les Frères musulmans.

    En France, le mouvement le plus impacté par la nouvelle convergence est donc la Ligue communiste révolutionnaire, qui devient en 2009 le Nouveau Parti anticapitaliste. En mars 2010, le NPA présente aux élections régionales en Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) une candidate voilée, Ilham Moussaïd. Karl Marx a pourtant écrit : « La religion est l’opium du peuple ». Comment des marxistes peuvent-ils soutenir le voile ? À la suite du scandale provoqué par cette candidature, la jeune femme scissionne du NPA, avec une poignée de militants issus des « quartiers ».

    L’initiative la plus importante est toutefois la création du Parti des indigènes de la république (PIR) en 2010. Cette formation sans équivalent est l’aboutissement d’un processus initié en 2005 avec le texte : « Appel pour les assises de l’anticolonialisme postcolonial : « Nous sommes les indigènes de la République ! » Dans ce manifeste qui tient la France pour un pays demeuré intrinsèquement colonial, on glane cette remarque : « Discriminatoire, sexiste, raciste, la loi antifoulard est une loi d’exception aux relents coloniaux[2]. »

    Non seulement la LCR signe immédiatement l’appel des Indigènes, mais ses membres s’inscrivent activement dans la construction du parti, qui regroupe plusieurs collectifs antiracistes et antisionistes. Le PIR, dont la devise est « le PIR est à venir », se trouve ainsi principalement structuré par des militants du NPA et par des membres du Collectif des musulmans de France (CMF), un mouvement animé par des Frères musulmans proches de Tariq Ramadan. Il se batît ainsi sur un schéma qui rappelle celui du Respect Party.

    Le PIR prétend rassembler les minorités coloniales, en oubliant toutefois à ce jour les populations asiatiques. Il tient la France pour un pays qui ne s’est pas mentalement décolonisé. Il rencontre un écho dans une certaine gauche tiers-mondiste qui continue à vouloir expier la guerre d’Algérie. Intéressante est à ce propos l’évolution d’Annie Ernaux. En septembre 2012, l’écrivaine initie une pétition contre l’éditeur et écrivain Richard Millet dont elle ne partage pas les idées droitières. Elle obtient son licenciement du groupe Gallimard. Mais en juin 2017, elle signe une pétition de soutien à Houria Bouteldja, cofondatrice du PIR et auteure en 2016 du livre Les Blancs, les juifs et nous[3]. Dans l’ouvrage figure entre autres ce passage : « Vous les Juifs, je vous reconnaîtrais entre mille, votre zèle est trahison. »

    Houria Bouteldja affectionne une posture provocatrice. On lui doit notamment la désignation des Français « de souche », comme étant des « souchiens »… Il est vrai que le PIR se place dans une démarche qui rappelle celle des séparatistes noirs américains, à l’exemple du New Black Panther Party prêchant la séparation entre les noirs et les blancs. Le PIR invoque sans cesse le thème de la « race ». Lors de l’épisode « Nuit Debout » au printemps 2016, le PIR installe place de la République à Paris un imposant tréteau sur lequel il étale sa propagande, sans être inquiété. Un tract intitulé Nuit (blanche) debout : comment sortir de l’entre-soi ? Interpelle. On y lit en particulier : « Les nuits sont blanches. (…) Les classes moyennes blanches se sont massivement mobilisées et composent la majorité des assemblées présentes aux Nuits debout ». L’argument de la race est ainsi mis en avant. Il s’agit d’opposer les prolétaires blancs, vivant dans le confort, aux non-blancs des quartiers : « Alors que les crimes policiers racistes, les contrôles au faciès, la chasse aux sans-papiers, la négrophobie, l’islamophobie et la romophobie d’État, les discriminations et plus récemment l’état d’urgence (…) ravagent la vie quotidienne des habitants des quartiers, sans provoquer un soulèvement massif de l’ensemble de la population, l’impressionnant succès de la mobilisation contre la loi El Khomri, sonne à l’oreille comme l’expression d’un énième « deux poids deux mesures » jusqu’au sein des mouvements de contestation[4] ».

    Nuit Debout, une initiative blanche et donc raciste ? Le PIR n’hésite pas à organiser de son côté des « réunions racisées », c’est-à-dire interdites aux blancs, au nom du droit d’expression des minorités. On observe même des « réunions racisées non-mixtes », réservées aux seules femmes non-blanches. Nous voici dans une logique clairement séparatiste.

    Violemment antisioniste et opposant virulent à Charlie Hebdo, le PIR se distingue à partir de 2015 par sa lutte contre l’état d’urgence lié à la vague meurtrière des attentats islamistes. Il s’inscrit ainsi alors dans une vaste campagne initiée par les organisations d’extrême gauche. Comme le dit un tract anonyme diffusé en Bretagne en 2016 : « L’état d’urgence est décrété pour que rien ne bouge. Pour que les oligarchies puissent continuer leurs affaires. (…) Le verrouillage mental d’aujourd’hui préfigure l’asepsie des imaginaires et l’épuration idéologique de demain[5].» Pas un mot sur les attentats, ni sur les victimes.

    Dans la période qui suit le massacre de Charlie Hebdo en janvier 2015, une campagne conjointe contre l’islamophobie et l’état d’urgence se met effectivement en place. Elle se voit relayée par le site Mediapart, fondé en 2008 par Gérard Desportes, Laurent Mauduit, François Bonnet et Edwy Plenel. Ce dernier est l’auteur en 2008 d’un livre qui vise déjà à contrer « l’islamophobie » : Pour les musulmans[6]. Aux yeux d’Edwy Plenel, la communauté musulmane sert de bouc-émissaire et fait l’objet d’un ostracisme constant. La lutte contre l’islamisme n’est que le paravent d’une vieille haine antimusulmane. Il est certain que Mediapart s’inscrit de manière décisive dans le combat anti-islamophobe.

    Un premier rassemblement se tient le 18 janvier 2015, place du Chatelet à Paris sur le thème : « Contre le racisme et l’islamophobie, autodéfense populaire ». Sur l’affiche annonçant l’événement, une femme voilée se tient tout près d’une militante noire qui lève le poing. On observe au cours de la manifestation des jeunes brandissant des drapeaux algériens, turcs et marocains, des panneaux avec des sourates du Coran et surtout une grande banderole : « Touche pas à mon prophète ».

    Dès lors, les démonstrations de force s’enchainent. Un nouveau meeting contre l’islamophobie a lieu le 6 mars 2015 à Saint-Denis. Une « Marche de la dignité et contre le racisme » est ensuite organisée par le PIR le 31 octobre 2015.

    Le 11 décembre 2015, une réunion contre l’état d’urgence « pour une politique de paix, de justice et de dignité », rassemble enfin Tariq Ramadan, la « féministe pro-voile » Ismahane Chouder, et Marwan Muhammad du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF). Ces islamistes se retrouvent à la même tribune qu’Omar Slaouti du NPA, Alain Gresh du Monde diplomatique, Laurence Blisson du Syndicat de la magistrature, ou Michel Tubiana de la Ligue des droits de l’homme, sans oublier une ancienne dirigeante du Respect Party, l’activiste voilée Salma Yaqoob.

    Et ce n’est pas fini… Sous le titre « Agir contre l’islamophobie et les racismes », un nouveau meeting se tient à Paris le 21 septembre 2016 en présence de Yasser Louati du CCIF, Nacira Guenif-Souilemas du PIR, Ismahane Chouder, sans omettre Saïd Bouamama de la Coordination communiste, ainsi que les universitaires d’extrême gauche Pierre Tevanian et Sylvie Tissot. L’essayiste Rokhaya Diallo participe à l’événement. Il est vrai que cette militante « féministe » et « antiraciste » défend ouvertement les réunions « racisées » : « Les réunions afroféministes non mixtes n’ont en aucun cas vocation à proposer un projet de société ségrégationniste définitif puisqu’elles s’inscrivent dans la temporalité d’un événement ponctuel. Elles offrent à leurs participantes une échappatoire, une zone de respiration dans une société oppressive », explique-t-elle dans Slate le 2 juillet 2017[7].

    On voit ainsi s’agréger toute une mouvance, dont les principales composantes sont le Nouveau Parti anticapitaliste, le Parti des indigènes de la République et les Frères musulmans proches de Tariq Ramadan.

    Quel rôle joue précisément le Nouveau Parti anticapitaliste de Philippe Poutou et Olivier Besancenot ? En aout 2016, le parti trotskiste organise dans le cadre de son université d’été une réunion de défense du burkini, durant laquelle les héritiers de Trotsky scandent : « Trop couvertes ou pas assez, c’est aux femmes de décider ». Le 18 décembre 2016 se tient ensuite à la Bourse du travail de Saint-Denis une « conférence internationale contre l’islamophobie et la xénophobie », sous l’égide conjointe du Parti des indigènes de la République et du NPA. Il s’agit d’une importante réunion, relayée en vidéo dans plusieurs pays, qui rassemble un grand nombre d’intervenants : outre Lila Charef, Ismahane Chouder, Marwan Muhammad et Said Bouamama, on remarque Philippe Marlière, Stathis Kouvélakis, Christine Delphy, Omar Slaouti, Pierre Tartakowski, Thomas Coutrot, Verveine Angéli de l’Union syndicale Solidaires et Olivier Besancenot du NPA. L’appel initial est d’ailleurs cosigné par Olivier Besancenot et Tariq Ramadan.

    Comment s’étonner de voir au printemps 2018 à la faculté de Tolbiac à Paris se succéder durant une grève étudiante deux incidents révélateurs : le saccage du local de l’Union des étudiants juifs de France, et la présence médiatique insistante d’une dirigeante voilée de l’UNEF ?

    Toute l’extrême gauche n’est certes pas réceptive aux thèses d’un Pierre Tevanian, pour qui « l’athéisme est devenu l’opium du peuple de gauche[8] ». D’un côté, les trotskistes lambertistes participent activement au réseau du Printemps républicain, qui fourbit un argumentaire face au cléricalisme ; de l’autre Lutte ouvrière a pris clairement ses distances en 2016 par un texte de dénonciation de l’islamo-gauchisme : « Le piège de la « lutte contre l’islamophobie[9] » ».

    La défense du voile est-elle compatible avec le féminisme ? L’antiracisme passe-t-il par l’organisation de « réunions racisées » excluant les blancs ? La lutte contre l’islamophobie implique-t-elle de s’allier avec des forces cléricales islamistes ? Le combat contre l’homophobie est-il compatible avec l’exaltation de la « virilité islamique » ? Peut-on être antiraciste tout en clamant sa méfiance envers les Juifs et sa haine d’Israël ? Les carnages de 2015 et 2016 peuvent-ils être biffés d’un simple trait de crayon ?

    L’islamo-gauchisme évolue finalement sur les mêmes terres que la Nouvelle Droite d’Alain de Benoist. Le think tank issu de l’extrême droite défend l’ethno-différentialisme, perçu comme la reconnaissance des différences spécifiques liées aux origines ethniques. Il penche en faveur de la séparation. Il milite pour la défense des traditions des peuples du tiers-monde et s’élève contre l’occidentalisation généralisée. Il défend des valeurs de virilité, s’oppose au féminisme, au nom des coutumes ancestrales.

    Islamo-gauchisme et droite radicale convergent. Mais doit-on s’en étonner ?

    Notes

    Notes
    1 En février 2009, la Ligue communiste révolutionnaire devient le Nouveau Parti anticapitaliste.
    2 Voir à ce propos cet article.
    3 Houria Boudeltja, Les Blancs, les juifs et nous, Vers une politique de l’amour révolutionnaire, La Fabrique éditions, Paris, 2016.
    4 Nuit (blanche) Debout : Comment sortir de l’entre-soi ? Tract du PIR diffusé place de la République à Paris, mars 2016.
    5 À la population bretonne, à la population mondiale, Appel à rassemblement pour : un état d’urgence climatique et un état d’urgence démocratique, tract diffusé en Bretagne en 2016.
    6 Edwy Plenel, Pour les musulmans, éditions La Découverte, Paris, 2014.
    7 Rokhaya Diallo, « La non-mixité, un outil politique indispensable », dans Slate, 2 juin 2017.
    8 Pierre Tevanian, La haine de la religion : comment l’athéisme est devenu l’opium du peuple de gauche, éditions La Découverte, Paris, 2013.
    9 « Le piège de la « lutte contre l’islamophobie » », dans Lutte de classe n°181, février 2017.

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  • Kate Cambor- Belle Époque

    C'est dans cette petite collection que j'avais lu l'excellent Quattrocento de Stephen Greenblat

    Kate Cambor, dan cette histoir edel a Belle Époque se sert de trois descendants illustres. la petite fille de Victor Hugo, le fils d'Alphonse Daudet et ce lui de Jean-Martin Charcot pour nous peindre une période qui s'étale de 1870 à la Seconde Guerre Mondiale, cinquante années qui encore aujourd'hui nourrissent notre imaginaire. (Tout du moins une certaine Belle Époque qui n'est pas représentative du vécu de la plupart des Français)

    Jeanne Hugo, Léon Daudet et Jean-Batiste Charcot vont se connaître très tôt dans les salons parisiens où se rencontrent les plus grands auteurs ou savants de l'époque. Ils forment une sorte de génération dorée qui devra se confronter à l'image de leurs aînés mais aussi à leurs propres qualités (ou défauts).

    C'est ainsi que de salon en découverte, de mariage (Jeanne Hugo épousera les deux) en événements, une peinture se se fait. Sous la plume de Kate Cambor, nous découvrons pléthore de personnages. Il y est question de Flaubert, de Zola, de Freud, Maurras...

    Nous relisons l'actualité de cette période densément placée ici avec toutes ses implications: Charcot qui rencontrera Freud, la dégradation de Dreyfus à laquelle assiste Théodor Herzl en tant que journaliste, la naissance de L'Action Française dont Léon Daudet sera l'un des plus féroces représentants, le scandale de panama, les aventures de Charcot au milieu des glaciers avec le Pourquoi pas?.

    C'est une période pleine de vie, de fureur (le contraste est important avec notre époque très policée) et à travers ces trois personnages, c'est un panorama (certes partiel) qui se dresse devant nos yeux nous incitant à aller creuser certaines questions (dont l'Action Française par je l'espère un ouvrage de Laurent Joly)


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  • Bertrand DE JOUVENEL - Après la défaite

    Ouvrage qui date de la même année que La seule France de Charles Maurras. L'année précédente avait aussi été écrit l'ouvrage (mais seulement paru en 1946) l'étrange défaite de Marc Bloch.

    Aujourd'hui Bertrand de Jouvenel est surtout connu pour une interview de Hitler den 1936 où il voyait en lui un homme de paix. C'était aussi un ami de Raymond Aron. Le décès de ce dernier est une conséquence directe de leur amitié puisque Aron est décédé en 1983 juste après une défense de Jouvenel accusé de fascisme.

    Mais quelque part, pour les amateurs de littérature, même s'ils l'ignorent. Bertrand de Jouvenel est le blé en Herbe de Colette. Il est celui qui a inspiré le personnage de l'adolescent. Il était alors le fils de Henry de Jouvenel, époux de Colette. Ils auront une liaison qui durera 5 ans.

    Mais dans cet ouvrage que nous dit Bertrand de Jouvenel?

    La défaite de la France et la victoire de l'Allemagne sont actées. Jouvenel met en parallèle la France victorieuse de 1918 et l'Allemagne de 1940.

    Pour faire court, comme de nombreuses autres personnes, sidérées par la défaite française, Jouvenel se pose les questions des causes. La première de toutes les causes qui lui sont subsumées, c'est que La France n'a pas su prendre la place qui lui revenait de droit après sa victoire.

    Qui plus est, dans ce siècle qui changeait, la France n'a pas su se mobiliser sa jeunesse, faire Nation pour concurrencer l'Allemagne et l'Italie. Jouvenel reproche donc en creux que la France n'ait pas su devenir un pays autoritaire qui aurait su s'armer devenir un concurrent des nations étrangères qui ont su alors mobilier tous les moyens au profit d'une cause commune (ou d'une défense vigoureuse):

    "Alors que l'homme français n'était habitué à faire corps qu'avec la famille, l'homme allemand au contraire se trouvait accoutumé à faire corps avec d'autres hommes"

    "Alors que les professeurs dreyfusards se fiaient pour assurer la prix à la vertu bienfaisante des "immortels principes", le raisonnement de l'école nationaliste s'appuyait sur des vérités incontestables."

    Jouvenel partage donc pour des raisons qui lui sont propres l'avis de certains membres de l'Action Française: le parti de Dreyfus, les pacifistes jouaient contre leur propre pays. il aurait fallu pour s'opposer à un pays totalitaire être un pays totalitaire ou pour le moins valorisant la force:

    "Les générations à venir s'expliqueront mal toute la période d'après-guerre, ei elles ont perdu la clé psychologique. Cette clé, c'est la haine de la force.
    Cette haine st d'abord un sentiment inné de la classe bourgeoise qui s'est élevée dans la société non point par la violence mais contre la violence."

    Jouvenel fait la part belle à des notions qui nous paraissent aujourd'hui démodées, la race, le peuple, la civilisation, les bourgeois. On y voit même des traces d'antisémitisme, si commun à l'époque.

    Jouvenel ne nous donne pas vraiment de clefs mais par l'immédiate analyse de la situation nous donne encore l'esprit du temps. L'Allemagne totalitaire, belliqueuse ne pouvait être contrée que par des moyens comparables et la France n'a pas su le faire. Peut-être que choqué par la défaite toute récente Jouvenel (et par l'occupation d'alors) ne voit pas ou ne peut pas voir les contingences de l'époque et comment elles se sont enchaînées. Tout cela n'était pas fatal et la France d'alors, parlementaire, ne pouvait s'organiser de la même manière qu'un pays totalitaire. Est-ce une faute?

    Certainement selon Jouvenel. Cette réponse transparait aussi dans les textes cités au début. De nombreuses personnes analysaient a posteriori (biais rétrospectif?) l'impréparation de la France, une pudeur dans une guerre déséquilibrée.

    Quelque part, à travers tous ces écrits, on peut comprendre comment un pays qui après avoir vaincu en 1918 et ayant vécu la défaite de 1940 (est-ce le même d'ailleurs qui a gagné en 1945?) a pu vouloir se renforcer sur la scène internationale. (siège permanent à l'ONU, dissuasion nucléaire, place à l'international) pour tenter de se prémunir des défaites futures. Heureusement la démocratisation des pays d'Europe est passée par là.


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  • Luther BLISSET - l'oeil de Carafa

    Nous sommes emmenés dans un voyage dans le temps. Luther Blisset (qui est ici en fait le pseudonyme de quatre auteurs) nous convie au XVIème siècle, en Allemagne et à Venise.

    Le point de départ (encore faut-il qu'il y ait réellement un point de départ), ce sont les guerres de religions mais pas seulement. Si Luther défie l'église romaine, il soulève dans les esprits une tempête, un désir d'émancipation non seulement envers l'église romaine mais contre toutes les formes de pouvoir. Et Luther s'associant au princes allemands va décevoir les espoirs de nombreuses personnes.

    Ainsi, nous allons suivre un personnage qui prendra plusieurs noms différents et qui s'associera puis mènera différentes campagnes que ce soient des révoltes, des tentatives d'autonomie ou de transformation des esprits. Il participera à la révolte des paysans menés par Müntzer, à la théocratie anabaptise de Münster qui se terminera en carnage ainsi qu'à un rapprochement entre les protestants et les catholiques lors de la campagne d'élection d'un pape.

    Mais en face de lui se trouve Carafa (personnage historique), évêque qui va se dresser contre les hérésies et les tentatives de schisme. Mais Carafa sera un personnage d'arrière-plan du récit car le véritable personnage second, principal du nom de "Q" (Qoelet du nom de l'écclésiaste), homme de main, espion à sa solde qui d'espionnage en complot va déjouer les plans des schismatiques.

    Nous allons donc suivre deux personnages que tout oppose pendant 40 ans: l'un, qui se mêlant aux espoirs les plus fous voire les menant, va vivre les révoltes contre les pouvoirs (église romaine, princes allemands), l'autre usant de psychologie, se mettant même en danger pour contrecarrer tout ce qui allait à l'encontre de l'infaillibilité de la maison de Saint-Pierre. Les deux personnages se retrouvant bien-sûr à la fin du roman.

    Le récit est riche, très riche. Nous sommes emmenés au milieu d'un univers que je ne connaissais pas et qui a donné naissance aux anabaptistes (dont sont issus les Amish par exemple) nous faisant découvrir les espoirs fous, anarchistes d'un peuple qui ne souhaitait que vivre selon ses propres lois, selon une religion libre d'être acceptée. C'est une époque riche en prophètes, en folie, en espoirs démesurés. La palme revient au récit de Münster qui aurait pu faire un livre en soi.

    C'est épique, enlevé. Je n'ai pas décroché du roman jusqu'à sa fin. Il faut peut-être avoir une petite culture religieuse pour en comprendre les tenants et les aboutissants, mais c'est une aventure qui mêle deux destins individuels aux affres du temps.

    Seul petit reproche mais qui fait l'unité de l'ouvrage: l'ensemble des événements réunis par les manipulations de Carafa (et le personnage principal) donnent un esprit complotiste alors que j'imagine que l'esprit du temps suffit à contrecarrer ce que met en place Gert du Puits (un de ses nombreux noms).


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