• Elsa TRIOLET - Le premier accroc coûte deux cents francs

    Elsa TRIOLET - Le premier accroc coûte deux cents francs

    prix Goncourt 1944. l'année suivante, c'était Mon village à l'heure allemande de Jean-Louis MARY. Elsa Triolet est la première femme à recevoir ce prix.

    Cet ouvrage est un recueil de 3 nouvelles. 3 nouvelles de 1944, Aujourd'hui deux de ces nouvelles feraient des romans de taille moyenne sur les étals de nos libraires.

    Il n'est pas étonnant que ce soit un ouvrage comme celui-ci qui remporte le prix, les deux premières nouvelles ont été éditées pour la première aux Éditions de Minuit.

    Les deux premières nouvelles sont (je ne devrais rien dire) mais doucement entremêlés, apportant une touche assez surprenant et agréable à la lecture. Elles racontent pour la première l'histoire d'une jeune résistante dans Lyon. Quant à la deuxième, elle raconte la vie d'un peintre et de sa maîtresse qui évoluent entre Lyon (Lyon, théâtre et personnage à la fois) et la campagne. Il y est souvent question de faim, une des problématiques du temps.

    Quant à la troisième, c'est peut-être plus autobiographique, l'histoire d'une jeune femme qui doit faire un reportage dans un maquis.

    Ce qui est très agréable dans ces nouvelles, c'est que malgré la date, ce n'est pas une hagiographie de la résistance armée. Parfois, il se passe peu de choses. Ce sont des bribes du quotidien en temps de guerre. Il y a une sorte de douceur, de description de normalité qui transparaît comme si on pouvait s'habituer à l'occupation même si on fait acte de résistance. Quelque part, l'ambiance est inversée, les moments les plus nombreux sont d'une douceur délicate même. Le risque, la douleur, l'héroïsme sont chose rare. Nous avons une sorte d'inversion de ce qui a été ensuite décrit dans les récits de résistance.

    Il est fort probable que l'occupation ressemblait à cela pour la plus grande part des gens: de longs moments de calme où les gens vivaient, aimaient, jalousaient, moments semés de la violence de l'occupant imposant les couvre-feux, de la confiscation qui entraînait la faim. L'occupation, c'était aussi la vie.


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  • Joseph BÉHÉ (et Pascal Boyer) - Et l'homme créa les dieux

    L'ouvrage de Pascal Boyer, Et l'homme créa les dieux est avec le gène égoïste de Dawkins et christianisme et paganisme de MacMullen un des essais qui m'a le plus recalibré. Ils m'ont apporté tout un tas de sources et de structuration de pensée en même temps que de nouvelles données pour comprendre le monde à l'échelle humaine ou collective.

    J'ai trouvé cet ouvrage par hasard sur l'une des tables de Memoranda à Caen. Je l'ai acheté initialement pour mes enfants. J'aimerais bien qu'ils le lisent pour pouvoir en discuter avec eux.

    Mais avant, j'en ai profité pour le lire (ou le relire)

    C'est une bonne adaptation. Joseph Béhé a eu la bonne idée de structurer l'essai de Boyer à travers la rencontre d'amis lors d'une soirée. Des amis ayant un rapport différent à la religion se retrouvent donc face à Boyer. Et dans une sorte de discussion dialogique, aristotélicienne, Boyer va se retrouver face à des questions, des indignations auxquelles il va devoir répondre.

    On retrouve ce qui fait son essai (avec en prime les sources à la fin)

    • les caractéristiques d'un agent surnaturel
    • nos fonctionnements cérébraux dans une perspective évolutionnaire qui amènent les "religions" (ou le sens religieux) à advenir
    • le biais d'agentivité
    • les coalitions
    • la morale (on ne peut s'empêcher de penser à Stéphane Debove)
    • des expériences en psychologie sociale qui viennent soutenir sa thèse
    • ...

    Attention, c'est une BD qui se mérite. Elle demande de la concentration. Le mot BD vient d'ailleurs pervertir l'objet: c'est une adaptation sous forme dessinée d'un essai érudit. Et plutôt fidèlement.

    Les dessins sont illustratifs, ils viennent soutenir le discours pour le rendre plus facile à digérer. Je trouve cela méritoire de la part de Joseph Béhé, le dessinateur. Je ne sais pas s'il s'agit d'une commande ou d'un souhait du dessinateur. Mais le contrat est largement rempli.

    Je ne regrette pas du tout de l'avoir acheté. l'avoir relu est une forme de révision. Maintenant, il faut que je le fasse lire aux garçons.

    sur les agents surnaturels:

    Joseph BÉHÉ (et Pascal Boyer) - Et l'homme créa les dieux

     

    Pages 125 et 126

     

     

     

    Joseph BÉHÉ (et Pascal Boyer) - Et l'homme créa les dieux

    Joseph BÉHÉ (et Pascal Boyer) - Et l'homme créa les dieux

     

     


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    Joseph Kessel - Marchés d'esclaves

    Joseph Kessel - Marchés d'esclaves

     

    Ce livre est un

    • Reportage
    • Une rencontre avec Henry de Monfreid
    • La découverte d'un esclavage arabo-musulman encore bien vivant en 1930
    • Un récit d'aventures

    Ayant acheté des livres à un des descendants d'amis de Monfreid, il pouvait être logique que ce livre fasse partie de leur bibliothèque. Pourquoi? Parce que cet ouvrage raconte -entrre autres- la rencontre Kessel et Monfreid, rencontre nécessaire pour aider le reporter à s'introduire dans ces certains milieux autour de la Mer Rouge. Kessel rencontre donc Monfreid, son bateau et ses carnets. Et c'est Kessel qui va pousser Monfreid à les publier.

    À Paris, bien peu de gens connaissent le nom d’Henry de Monfreid. Mais que ce soit à Djibouti, molle et visqueuse, que ce soit dans la brousse éthiopienne, ou parmi les pierres noires hantées des sauvages Danakil, en Érythrée, où les enfants indigènes saluent à la fasciste, dans les ports du Yémen, dans les sables du Hedjaz 2 , chez les plongeurs de perles aux creux des îles vierges, bref, depuis l’Égypte jusqu’aux Seychelles, il suffit de prononcer ce nom pour que le Français, l’Anglais, l’Italien, pour que le Somali, l’Abyssin, le Galla, l’Arabe et le Dankali le reconnaissent et que chacun le mêle à quelque récit violent et fantastique.

    (Au moment où fut écrit ce récit, Monfreid n’avait rien publié encore, et c’est une des fiertés de l’auteur que de l’avoir décidé à relater ses souvenirs.)

    Monfreid, sans le chercher, a inspiré une légende sur les côtes tragiques de la mer Rouge. L’imagination est sans frein chez les êtres primitifs ; elle est chaude chez les Blancs que frappe un terrible soleil. Avec les échos suscités par son existence, il serait facile de faire de lui un personnage prodigieux. À quoi bon ! La réalité est assez éloquente.

    De famille catalane, fils du comte Daniel de Monfreid, peintre et voyageur, ami de Gauguin, Henry de Monfreid débuta mal. Il fut refusé à Polytechnique et se ruina dans des affaires et des amours médiocres. Sans un sou, le cœur vide, il s’embarqua, il y a vingt ans, pour l’Abyssinie, sur la foi de vagues renseignements, où il était question de commerce de café. Il avait alors dépassé la trentaine.

    Il considérait que sa vie était achevée. Elle commença.

    Il faut à certains hommes, pour développer leurs forces secrètes et fécondes, un climat spécial, aussi bien spirituel que physique. Le destin de Monfreid était de découvrir le sien alors qu’il croyait aller à une retraite végétative.

    Ces étendues farouches, peuplées d’hommes rapides et âpres, baignées par une mer brûlante, où ne fréquentaient guère que les sambouks des trafiquants arabes et les zarouks des pirates zaranigs, il sentit soudain qu’il leur appartenait. Sans doute une ascendance maure, une misanthropie 30 Retrouver ce titre sur Numilog.com Marchés d’esclaves naturelle, un sang de contrebandier, un amour passionné de la mer, avaient formé chez lui un appétit inconscient, furieux d’aventure et de solitude. Aussi, quand la terre et les flots lui offrirent soudain leurs possibilités infinies et mystérieuses, dans un corps-à-corps quotidien où l’homme, dépouillé de toutes ses armes artificielles, se trouve réduit à sa propre mesure, Monfreid se révéla lui-même.

    Il apprit l’arabe et les dialectes selon lesquels l’ont déformé les tribus de la côte et de l’intérieur. Il méprisa, comme elles, le feu meurtrier du soleil, mangea, s’habilla selon leurs mœurs. Il poussa même cette assimilation jusqu’à se faire circoncire coraniquement, ce qui, à son âge, montrait quelque patience. Ainsi trempé, il fit des caravanes dans la région paludéenne et désertique de l’Awash. Il lui arriva d’être poursuivi par des chasseurs d’hommes, et il dut, pour leur échapper, se maquiller en noir, en délayant le crottin de sa monture dans sa propre urine, car l’eau lui manquait.

    Au cours de ces voyages, il s’aperçut que la marchandise préférée de ces régions était le fusil. Il se fit contrebandier d’armes. Avec le peu d’argent que lui avaient procuré ses caravanes, il acheta un sambouk. C’est une barque non pontée avec une pauvre toile.

    Sur cette coquille, Monfreid commença de sillonner la mer Rouge. Il forçait la surveillance anglaise – avant la guerre les autorités françaises ne s’y opposaient point – et débarquait, la nuit, sa cargaison dans quelque crique déserte. Il apprit à connaître tous les îlots, tous les récifs, tous les mouillages. Il entreprit la pêche des perles, s’établit dans une île sauvage au milieu d’un dédale féerique de palétuviers, avec ses plongeurs et ses marins noirs…

    Je ne veux pas raconter ici les péripéties de cette existence, car Monfreid en a entrepris lui-même le récit. S’il l’achève, il donnera des mémoires qui sembleront d’un autre siècle, celui des coureurs de mer, des gentilshommes de fortune. On y verra comment il osa rêver de donner, seul, les îles Farsan à la France, comment il lutta contre l’Intelligence Service, comment il passa des armes et d’autres chargements, comment il poursuivit, jusqu’aux Seychelles, ayant monté une bombarde sur son boutre, un bateau où se trouvait la marchandise qui lui avait été dérobée. On lira aussi le naufrage de l’Ibn-el-Bahar (Le Fils de la Mer), voilier qu’il avait de ses mains construit et qui s’abîma d’un seul coup dans la mer Rouge, et bien d’autres histoires qui serrent le cœur et enfièvrent l’imagination. Et toutes les coutumes, les superstitions millénaires, les rêveries des nakoudas arabes, des 32 Retrouver ce titre sur Numilog.com Marchés d’esclaves matelots somalis, des guerriers danakil, se mêleront merveilleusement aux aventures de ce Français qui voulut vivre une vie de hardiesse, de solitude et de liberté.

    Kessel décide donc de partir découvrir la filière de l'esclavage autour de la Mer Rouge

    L’esclavage… tant de civilisations sans miséricorde auxquelles il est mêlé… la Chaldée, l’Égypte, la Grèce, Rome… L’esclavage… tant de sang dans la brousse et les lianes de l’Afrique : les négriers, les razzias, la traite, des régions vidées d’hommes et d’enfants. L’esclavage … tant de souffrances sous le soleil de la Louisiane, de la Géorgie, de la Caroline … Les plantations malsaines… les molosses dressés à la chasse aux fuyards… la guerre de Sécession.

    Pouvais-je espérer, maintenant que chaque jour s’effacent les distances, que les vêtements, les mœurs et les règles deviennent communs et mêlent les nations en un vaste peuple uniforme, pouvais-je espérer trouver, non pas à l’état de trace, de souvenir, de vestige, mais vivante, cette coutume qui fut l’une des profondes et cruelles assises de l’humanité ?

    J’étais résolu à m’enfoncer loin, à faire vite et secrètement, à courir bien des risques pour découvrir ce qui restait d’elle. Quelles fatigues et quels périls ne vaut pas une pareille entreprise ? Mais comment imaginer que même la chance la plus favorable permettrait de retrouver autrement qu’abâtardie, déformée, agonisante, une institution proscrite par tous les pays civilisés, traquée sur mer aussi bien que sur terre par les représentants des puissances et les membres de la Société des Nations ?

    Or, ce soir-là, devant mes amis et moi, dans l’ombre douce du Harrar, dansaient les esclaves Oualamo, Sidamo et Chankalla, échappés pour quelques heures à leur maîtres. Et, bouleversé, écrasé par la densité millénaire de ce spectacle, je voyais, projetée sur le rideau ardent du bûcher, la figure même de ma plus vive attente. J’avais rejoint un courant primitif de l’humanité qui va s’épuisant, qui tarira bientôt, mais que l’on peut aujourd’hui encore surprendre dans une saisissante vivacité …

    J’étais sur la piste.

    Quoi qu’il arrivât – car les gouvernements n’aiment pas que l’on s’attache à un état de choses qui, en principe, ne doit pas exister –, maintenant 2 Grands reportages en mer Rouge je la suivrais d’un bout à l’autre. Je verrais comment se fait la dernière traite, comment se tiennent les derniers marchés d’esclaves.

     

    Que dire du reportage? La langue est carrée. Kessel ne cherche pas le spectaculaire au-del) des mots. Les épisodes suffisent en eux-mêmes comme celui où il assiste à l'enlèvement d'une enfant. Il vit un parcours qui nous serait totalement étranger aujourd'hui, vivant au gré des rencontres, se faisant ouvrir des portes au simple nom arabe de Monfreid et découvre aussi une économie qui pouvait donner en 1930 aux lecteurs un sentiment d'archaïsme complet.

    Cet esclavage était combattu en Mer Rouge par les Français et les Anglais. les trafiquants faisant traverser la Mer Rouge à leur marchandise en usant de plus en plus de stratagèmes. On découvre une économie qui ne promet pas la fortune à ceux qui choisissent de la faire. Et on découvre aussi un normalité d'asservissement entre populations africaines.

    Ce qui m'a paru aussi intéressant, c'est le ton de Kessel. Il fait le choix de ne pas s'offusquer, de ne pas s'indigner. on comprend qu'il n'apprécie pas. Certains de ses actes le prouvent. Il est là principalement comme observateur. Sa conclusion est aussi intéressante et loin des indignations qui auraient pu paraître de bon aloi.

    Joseph Kessel - Marchés d'esclaves

    Joseph Kessel - Marchés d'esclaves

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  • Jacques Bainville - Les dictateurs

    Jacques Bainville - Les dictateurs

    Jacques Bainville faisait partie de l'Action Française. Il est entre autres l'auteur d'une Histore de France bien connue pour participer du "Roman National" contre lequel a écrit Suzanne Citron à l'occasion d'un ouvrage que j'ai sur mes étagères et que je n'ai pas encore lu.

    Il serait facile de lire aujourd'hui l'AF avec notre grille de lecture politique contemporaine. Il suffirait de condamner un mouvement guidé par Charles Maurras, royaliste d'Extrême-Droite, antisémite et nous ferions exhibition de vertu politique. Or ce n'est pas si simple bien sûr... Le Gal Leclerc a été un lecteur du journal pendant les années 30. Si Maurras a rejoint Pétain en 1940, une partie du mouvement a rejoint De Gaulle par nationalisme.

    Bref, je pense qu'il ne sert à rien de s'offusquer d'un tel mouvement inscrit dans son temps sauf à faire preuve d'un discours anachronique.

    Je découvre à l'occasion de petites recherches sur le net qu'il y a des experts de Bainville et c'est normal (je mettrai une vidéo en dessous) mais qu'il existe sur youtube une chaîne qui se nomme "Action Française". Cela me laisse assez pantois.

    Pour en revenir à cet ouvrage, il s'agit de la part de Bainville de décrire une suite de "dictateurs". Je mets le mot entre guillemets car il met sous la même catégorie les dictateurs de la Grèce et la Rome antiques, ceux des temps modernes (Cromwell, Louis XIV...) et ceux de la période contemporaine (Staline, Attaturk, Mussolini, Salazar pour finir avec Hitler)

    Ce sont de courts portraits ou mises en situation historiques encadrées par de courtes introductions et conclusions que je vous mets:

    introduction:

    « Nous croyons toujours que tout est nouveau, alors que nous refaisons les expériences que les hommes des autres siècles ont faites et que nous repassons par les mêmes chemins qu'eux.

    Les dictatures contemporaines ont paru au lendemain du jour où le président Wilson avait dit : « Rendez le monde sûr pour la démocratie. » On répétait partout que la victoire des alliés était celle du principe démocratique sous toutes ses formes. Trois empires s'étaient écroulés dans un grand fracas de trônes. La monarchie - le pouvoir d'un seul - semblait un système condamné. Quelle apparence y avait-il que le pouvoir personnel dût renaître ?

     Au premier dictateur qui se présenta, on fut incrédule. A peine lui accorda-t-on quelques jours de règne et, en France, un homme politique eut l'imprudence de le traiter, du haut de la tribune, de « César de Carnaval ». Puis, quand la mode se répandit, on se plut à penser que, si c'était une épidémie, elle s'arrêterait aux portes des grands Etats, de ceux qui avaient une tradition libérale, des partis de gauche bien constitués. De même, on n'ignorait pas ce que c'était que l'inflation et la monnaie avariée, mais on les regardait comme une plaie réservée à des peuples pauvres, primitifs, ou très mal administrés. On n'admettait pas que des pays riches, pourvus d'une véritable organisation financière, fussent atteints par cette sorte de pourriture d'hôpital.

     Tout cela s'est trouvé faux. La monnaie est tombée malade même là où elle avait la réputation de tout défier. Des dictatures ont surgi aux endroits où elles étaient jugées invraisemblables. Elles se sont implantées solidement alors que, pendant longtemps, les dictateurs, lorsqu'ils étaient encore de simples agitateurs, n'avaient même pas été pris au sérieux.

    D'ailleurs, ce n'est pas au hasard que nous rapprochons le mal monétaire de l'établissement des régimes d'autorité. L'un précède et engendre souvent l'autre parce qu'il est pour les foules le signe le plus sensible du désordre.

    C'est même une des raisons qui font que la dictature n'a pas des causes uniformes. Elle peut être une réaction de défense contre l'anarchie et la ruine et contre les effets de la démocratie portée à sa dernière conséquence, qui est le socialisme ou le communisme. Elle peut être au contraire pour la démocratie égalitaire et anti-capitaliste le moyen de vaincre les forces qui lui résistent et de s'imposer.

    Il y a donc des dictatures diverses. Il y en a pour tout le monde et un peu pour tous les goûts. Ceux qui en rejettent l'idée avec horreur s'en accommoderaient très bien et, souvent, s'y acheminent sans s'en douter. Ceux qui la désirent seraient parfois bien déçus si elle triomphait.

    Qu'on l'appelle ou qu'on la déteste, il est donc essentiel de la connaître avec les visages divers qu'elle a pris au cours de l'Histoire, puis, de nos jours, dans des pays si nombreux et si éloignés les uns des autres qu'on aurait probablement tort de n'y voir qu'une sorte de vogue quand elle est l'effet d'une loi ou d'une nécessité. »

     

    Conclusion:

    « Que l'on désire ou que l'on redoute un dictateur, il nous semble qu'après cette revue, d'ailleurs incomplète, chacun peut se faire une opinion. 

    De la démagogie à la tyrannie, il n'y a qu'un pas, soit que le gouvernement fort naisse d'une réaction contre le désordre, soit qu'il serve à imposer une révolution dont les modérés et les conservateurs sont les victimes.

    « Les sages d'autrefois, qui valaient bien ceux-ci », ne l'ignoraient pas. Au siècle dernier, frappés par le succès de Napoléon III, ils enseignaient que le socialisme conduit au césarisme. Mais le socialisme est l'expression parfaite de la démocratie. Elle n'en est pas l'expression dernière, car rien ne finit. C'est le retour éternel. Tout ce qui implique contrainte dans l'organisation sociale entraîne la disparition de la liberté politique et postule un pouvoir qu'on ne discute pas.

    Si l'anarchie engendre des Césars parce que l'ordre est un besoin élémentaire des sociétés, le communisme fait naître d'autres Césars parce qu'au contraire il règle tout. 

    Il suffit même de parler d' « économie dirigée » pour supposer l'existence d'un suprême directeur. C'est donc par le « trop »comme par le « pas assez » que surviennent les dictatures.

    Qu'elles soient de droite ou de gauche, et elles sont plus souvent de gauche que de droite, elles renferment toujours une large part d'inconnu. Il est préférable d'en faire l'économie, c'est-à-dire de ne pas en avoir besoin ou de ne pas y tomber sans le savoir.

    Eckermann demandait un jour à Goethe si l'humanité ne verrait pas la fin des guerres. « Oui, répondit l'olympien de Weimar, pourvu que les gouvernements soient toujours intelligents et les peuples toujours raisonnables. »

    Nous en dirons autant des dictatures. On s'en dispense à la même condition. Mais les bons gouvernements sont rares. Et Voltaire dit que le gros du genre humain a été et sera toujours imbécile. »

     

    Je ne suis pas sûr de garder grand souvenir de cet ouvrage. J'ai le sentiment d'un livre trop court, trop fourre-tout. Les portraits des situations de dictature sont trop courts, trop brefs, pas assez approfondis pour vraiment illustrer une thèse ou des ressemblances. A moins qu'il ne laisse le soin au lecteur de faire le tri.

    Ce qui peut paraître étonnant, à notre époque démocratique où l'égalité est érigée en étendard, c'est premièrement l'appel à l'ordre sous peine d'émergence de la dictature. Je ne sais pas si on peut en tirer une leçon contemporaine. Peut-on parler d'ordre/de désordre, de sentiment d'ordre ou de désordre qui ferait qu'émergeraient des hommes forts, des dictateurs ou des "populistes" (je laisse le soin aux détracteurs de ces hommes de définir cette notion) démocratiquement élus (pensons à Trump, ou à Orban par exemple)?
    Et deuxièmement c'est la notion de loi ou de nécessité. Thèse difficilement tenable aujourd'hui. "L'histoire étant la science des événements qui n'ont eu lieu qu'une seule fois", comment penser l'émergence de mouvements qui semblent se répéter dans le temps.

    Est-ce un ouvrage d'historien? Je ne suis pas sûr. En tout cas, pas au sens où on l'entendrait aujourd'hui. Mais c'est assurément une oeuvre de citoyen engagé mêlé à son époque où les dictatures fleurissaient dans le monde entier.

    P.S Je lirai son histoire de France. Mon père me l'a offert il y a quelques années et je lirai sans doute "les conséquences politiques de la paix" qui date de 1920 dans lequel, paraît-il, il aurait été assez clairvoyant. (facile à dire après coup...)

     


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  • Goethe - Werther

    Goethe - Werther

    Deuxième fois que je lis Werther. Le fait que l'ouvrage ne soit pas long n'est pas étranger à cette relecture.

    A ma première lecture, je me souviens en avoir gardé un sentiment plus que mitigé. Je crois que j'étais en colère contre le comportement de Werther dans la dernière partie. Cette lettre qu'il laisse à Charlotte m'avait laissé un goût amer. "Pourquoi ne se suicide-t-il pas en silence? Ne pourrait-il pas mettre fin à ses jours sans donner mauvaise conscience à l'être aimée et à celui auquel elle est promise?" Cela devait être en substance la conclusion à laquelle j'arrivais.

    Outre le fait que je n'ai pas l'air du temps et ne peux mesurer l'importance qu'a eue l'oeuvre à son époque, si je dois poser quelques réflexions rapides sur l'ouvrage:

    • La fin est délicieusement pathétique. Malgré cette issue connue, je me suis laissé entraîné par la fin misérable de Werther. Ses dernières heures tournées vers son acte fatal sont très efficaces.
    • Je suis toujours outré par cette exhibition de sa souffrance et de son suicide à venir auprès de Charlotte. Quel égoïsme! S'il l'aimait tant, ne pouvait-il pas la préserver? N'a-t-on pas ici un comportement puéril? (J'écris cela la langue dans ma joue)
    • Ne peut-on voir une des premières auto-fictions? Goethe s'est inspiré de rencontres réelles qu'il a modifiées à l'envi afin d'écrire son oeuvre laissant au lecteur le soin (et la difficulté) de dénouer le vrai du faux. Il utilise un épisode de sa vie, il instrumentalise Kestner et Charlotte (il garde son prénom dans le roman), leur cachant initialement le contenu de son roman, les exposant à son lectorat, utilisant l'événement réel de prêt de pistolet de Kestner à un proche. Il y a là une forme de traîtrise. Alors certains me diront que la littérature a tous les droits. Auquel cas, je leur rétorquerai que la littérature n'a pas de droits, seuls les auteurs en ont. N'avons-nous pas là une des premières expressions de l'égoïsme de l'écrivain qui se donne le droit de sacrifier des personnes et le réel à son profit?
    • L'adjectif qui revient à plusieurs reprises (en français) est "exalté". C'est ce qui résume bien Werther. C'est un écorché, un réceptacle à émotions sans capacité d'inhibition. J'imagine qu'à cette époque, il pouvait y avoir une injonction au contrôle de soi. Et que Werther est arrivé valorisant les sentiments, la vie intérieure, tout cela sans filtre faisant apparaître un "soi" sincère avec soi-même et les autres et ce jusqu'à la mort.

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