• L’anthropomorphisme conceptuel dans les sciences sociales selon Nathalie Heinich :
     
    « Dans la page « Débats » d'un de mes quotidiens préférés, je lis ceci : « En vérité, les enseignants ne sont pas payés pour que les élèves apprennent : il est des enseignants avec qui les élèves, année après année, n'apprennent rien et qu'on a jamais cessé de payer pour cette raison. Enfin, la société a utilisé son système éducatif pour limiter la mobilité sociale verticale et rendre la réussite presque impossible aux enfants du peuple. »
     
    « L’auteur de cette assertion est certainement animé des meilleures intentions ; il est même possible que la cause qu'il défend soit louable ; on peut enfin supposer que sa pensée a pu être caricaturée à des fins de lisibilité journalistique ; mais quand même : un sombre comploteur (« la société française ») n'a d'autres buts que de détourner (« utiliser ») les armes qu'on lui a données (« son système éducatif ») à seules fins de les retourner (« limiter la mobilité sociale ») contre ceux (« les enfants du peuple ») à qui elles étaient censées servir. Et tout cela « en vérité », bien sûr… (« en vérité », « en fait » : ce sont les petites chevilles du discours qui signalent, presque immanquablement, la sociologie du soupçon).
     
    « Est-ce bien raisonnable ?
     
    « Une intention malveillante et dissimulée, une victime, un coupable : nous voilà bien dans l'hypothèse du complot. Mais au fait, qui est ce coupable ? Ce n'est pas une personne, ni un collectif, mais une entité abstraite : « la société française », considérée comme le sujet de ces vilaines actions. Le raisonnement présuppose donc l'existence d'un être à la fois transcendant (il appartient à une autre sphère que celle de notre expérience commune, étant à la fois au-delà et en amont de ce qui est donné à nos sens), et agissant (il est pourvu d'une intentions, d'instruments pour les réaliser, et ses actes produisent des effets).
     
    « C’est ce que Platon nommait des « essences », et les philosophes médiévaux des « universaux », autrement dit des concepts abstraits, non réductibles aux objets sensibles qu'ils désignent (« la blancheur » ne se réduit pas à la somme des objets blancs, ni la catégorie « chien » à l'ensemble des canidés existant ou ayant existé). La grande question, qui a longtemps agité et agite encore, sous des dénominations variées, le monde intellectuel, c'est de savoir si ces « essences », ces « universaux », ces concepts, ont une existence réelle (c'est la position dite « réaliste ») ou purement nominale (c'est la position dite « nominaliste »). Autrement dit : les concepts abstraits existe-t-il ailleurs que dans le langage ? Sont-ils des choses, ou ne sont-ils que des mots ? Et de la réponse à cette question dépend la résolution de cette alternative : sont-ils ou non des êtres agissants ? Peut-on leur imputer des actions ?
     
    « La réponse du sociologue, à mes yeux, doit être claire : c'est non ! (Non, « le mot chien ne mord pas », selon la formule lapidaire des philosophes nominalistes). Ce n'est pas que la position « réaliste » (ou essentialiste, ou substantialiste) soit forcément bête : en l'occurrence, tout est affaire de croyance, et en matière de croyance celui qui croit paraît toujours stupide à celui qui ne croit pas, de même que celui qui ne croit pas n'est qu'un imbécile aux yeux de celui qui croit. Mais c'est que la croyance en l'existence « réelle » (et non pas seulement cognitive) des concepts relève d'un domaine de pensée bien spécifique : la métaphysique ; laquelle n'a nullement besoin de tous les protocoles - enquêtes, expérimentations, corpus, preuves, méthodologies, chiffres, terrains de recherche, etc. - dont doivent se munir les sciences sociales pour atteindre leurs objets.
     
    « Bref : libre à vous de croire que « la société française » n'est pas seulement un contexte ou un cadre spatio-temporel, mais une substance, une entité transcendante à l'expérience, une chose agissante ; mais alors, pourquoi faire de la sociologie, puisque celle-ci n'aura jamais les moyens de vous y donner accès ? Et si vraiment vous persistez à faire le sociologue (ce à quoi, après tout, personne ne vous oblige : on a toujours le droit de changer d'orientation en cours de carrière), alors laissez tomber ces mauvaises habitudes syntaxiques et, s'il vous plaît : cessez de faire de concepts abstraits les sujets de verbes d'action ! Ils peuvent certes être les sujets de verbe d’état (la société française « est » ceci, « a » cela), mais pas de verbes d'action (elle ne « fait » pas ceci ou cela).
     
    « Autrement dit : cessez de faire de l'anthropomorphisme conceptuel, en traitant les concepts comme des êtres vivants, animés d'intentions, fussent-elles meilleures ! - et plus souvent les pires, car l'anthropomorphisme conceptuel, nous venons de le voir, va main dans la main avec la sociologie du soupçon, en supposant des êtres tout-puissants et mal intentionnés. Laissez cela aux poètes : seul Antonin Artaud peut proférer un « Van Gogh, suicidé de la société » sans paraître ridicule (encore que…) ; c’est une bêtise, peut-être, mais une bêtise géniale. Et le génie n’étant pas, comme on le sait, donné à tout un chacun, mieux vaut rester prudent : oubliez-la, « la société ».
     
    « Et donc : plus de « la société veut que », « l’Humanité croit que », et même « l'État a décidé que » (raccourci dommageable pour « tels ou tels décideurs dotés de tels ou tels pouvoirs ont pris telles ou telles mesures aboutissant à ce que… » : là, on commence à faire du vrai travail). Plus de « l'action que la société exerce sur elle-même », plus de « ce que la religion exige », plus de « la science nous oblige à » ; plus de « systèmes de valeurs » qui « relèvent un défi », ni d’« humanité » qui « parvient à faire un tri dans sa mémoire » - etc. On voit dans ces derniers exemples comment la métaphore risque de devenir non plus ce qui stimule l'imaginaire mais ce qui arrête la réflexion : bref, un empêcheur-de-penser.
     
    « Je sais : cela fait beaucoup de mots en moins. Mais songez : que d'arbres épargnés grâce aux économies de papier ainsi réalisées ! Et quel soulagement de se débarrasser enfin de tous ces arrières-mondes qui agissent dans notre dos, nous surplombent, et nous plombent ! »
     
    Nathalie Heinich, Le Bêtisier du sociologue, Klincksieck, 2009, pp. 37 - 40.

    votre commentaire
  • René BAZIN- Charles de Foucauld

     

     

    Il suffit parfois d'un nom de rue pour s'intéresser à un individu.

    C'est le cas de Charles de Foucauld. Qui est cet homme qui a été sanctifié il y a peu? Comment au XXIème siècle peut-on encore sanctifier un individu qui plus est qui a vécu au XXème siècle, ce siècle de la technique, de l'affaiblissement du catholicisme en occident?

    A la lecture de cet honnête biographie, plusieurs éléments viennent éclaircir la situation. Il s'agit de l'histoire

    • d'un homme qui se repend puisqu'après une jeunesse plus ou moins de patachon, il décide de rejoindre l'église.
    • d'un homme qui choisit pour le guider un des ordres les plus stricts puisqu'il rejoint des trappistes (comme Huysmans d'ailleurs)
    • d'un homme de science qui rejoint la métaphysique voire la mystique puisqu'il est d'abord connu pour sa cartographie du Maroc qu'il a parcouru tel un aventurier.
    • d'un homme érudit qui traduira la langue touarègue (aussi dans le but de les convertir)
    • d'un homme qui rejoint un imaginaire ancien puisqu'il remet au goût du jour une forme d'érémitisme (pensons à Paphnuce dans Thaïs d'Anatole France)
    • d'un homme assassiné et qui est considéré par certains comme un martyr. (Même s'il semble avoir été assassiné pour des raisons crapuleuses et non religieuses)
    • d'un homme tout simplement qui avait ses contradictions.

    Bref, Charles de Foucauld qui a aussi été un homme de son époque (il y a une polémique à son sujet concernant ses élans considérés comme coloniaux et d'ailleurs, sa sanctification montre encore l'indépendance de l'église envers l'air du temps) semble être une forme de retour aux origines de la chrétienté, un "saint-homme" qui fuyant la civilisation, happé (comme tant d'autres) par le désert va y assouvir sa soif du divin et de l'ascèse.


    votre commentaire
  • Charles MAURRAS - La seule France

    De Charles Maurras, je savais peu de choses. Je l'ai vu passer tel un personnage dans les mémoires d'un fasciste de Rebatet (version expurgée semble-t-il).

    J'ai découvert via des podcasts l'Action Française, j'ai lu Jacques Bainville (les dictateurs) et je connais de nom (pour le moment) Léon Daudet qui eux-aussi en faisaient partie.

    Il me reste à lire un ouvrage sur l'Action Française pour comprendre leur pensée mais cet ouvrage trouvé dans une caisse ficelé avec d'autres romans et ouvrages de la même époque semble être une bonne porte d'entrée.

    L'un des intérêts, me semble-t-il de ce livre c'est que premièrement Maurras n'est pas (ou si peu) réédité mais surtout qu'il date d'avril 1941. C'est ce que sous-entend le sous-titre "chronique des jours d'épreuve", la défaite étant vue comme une épreuve et une épreuve, ça se surmonte. Comment Maurras compte-t-il surmonter cette humiliation?

    Le livre est divisé en deux parties. Une première qui évoque les nécessités du moment et les causes de la défaite. La seconde est programmatique. Cependant, les deux se recouvrent.

    Dans la première, Maurras tape sur tout ce qui bouge et particulièrement contre ceux qu'il a combattus depuis des décennies: les Anglais, les politiques martiales, "les juifs et les métèques", la franc-maçonnerie. Tous ont d'après lui fait perdre la France. Pourquoi engager la France dans une politique d'alliance qui allait l'emmener dans un combat perdu d'avance? On découvre donc (mais j'ai dû le lire chez Jackson et chez Paxton mais j'ai dû oublier) une Action Française pacifiste. Les juifs sont donc coupables, incapables de se lier à la nation qui les héberge. C'est bien sûr le cas des communistes, des individualistes. C'est aussi le cas des Anglais qui jouent de la France depuis des siècles, voire qui complotent contre elle!. C'est bien sûr aussi de Gaulle qui au lieu de se ranger derrière Pétain se fait l'allié de l'attaque contre Mers-El-Kébir et devient donc un ennemi de la France car selon lui, il n'y a plus qu'une solution en 1941, c'est de se ranger derrière la figure de Pétain.

    Car, pour Maurras, royaliste, en cette année de gueule de bois, Pétain est la figure tutélaire derrière laquelle doivent se ranger les Français pour redresser la France. Il énumère ensuite une sorte de programme pour retrouver une nation forte, une suite de mesures qui n'a pour seul but que de se ranger derrière "la seule France": mettre en place (comme dans l'Italie fasciste) des corporations de métier qui seront des engrenages sociaux, redonner une place aux humanités dans l'enseignement, faire une sorte de dyade prêtre/professeur pour donner de vrais repères, légitimer le nouveau statut des juifs qui oeuvrent contre la France, favoriser la natalité.

    Maurras se range sans aucun remord derrière Pétain qui, à défaut d'être roi, peut incarner le pays en sa figure. Car l'antiparlementaire (tout comme d'autres à la même époque: on peut les comprendre 100 gouvernements dans les 70 dernières années) qu'est Maurras pense que la France a besoin d'une unité incarnée, seule capable de se redresser pour faire face à la défaite et pour penser l'avenir.

    Outre le fait que c'est très verbeux (on pense à une suite d'articles) parfois très creux, il est intéressant de voir combien Maurras aura misé sur le mauvais cheval. Dès 1941, son désir de dictature où les citoyens seraient les serviteurs volontaires. Il énonce son antisémitisme sous couvert de nationalisme sans penser à leur plus que problable meurtre (C'est l'Action Française qui avait soutenu l'édition de Mein Kampf pour le dénoncer pourtant), développe des idées complotistes sur les Anglais qui auraient fomenté les Révolutions (pensons à Pitt et Cobourg). Je crois (mais je peux me tromper) qu'il énonce aussi un de ses thèmes préférés: la différence entre la France légale et la France réelle. 'Lui seul siat bien sûr ce qu'est la France réelle)

    Ce qui est aussi intéressant, c'est de voir le grand impensé de cet ouvrage: il n'est quasiment jamais question des Allemands. Certes, il n'allait pas dégoiser sur eux alors qu'ils contrôlaient le pays mais à aucun moment dans son désir de redresser la France il ne parle de l'emprise de l'Allemagne sur le pays. Tout hypnotisé par la prise de pouvoir de Pétain et l'adéquation de ce dernier avec ses idées, il ne pense pas concrètement à l'avenir. Il semble être perdu dans une sorte de présent éternel où jamais les Français n'en auraient assez de l'occupation, des spoliations.

    Quelque part, on semble à travers ce texte voir ce qui a pu mobiliser bien des Français au moins en 1941: le soulagement qu'un homme de haute stature prenne le destin de la France en main, la recherche d'une voie autre (pensons à Laval qui cherchera en vain à lancer la France dans un axe autonome dégagé de la tutelle de l'Allemagne et éloignée des deux autres idéologies puissantes de l'époque qu'étaient le communisme et le libéralisme), le sacrifice cynique des juifs sur l'autel de l'unité.

    Nous avons là un condensé de ce qui fait l'époque et qui amènera une partie des Français à soutenir coûte que coûte la politique pétainiste dans ses dérives les plus sombres.

    Nous avons là une photographie intéressante et cruelle (pour Maurras et pour d'autres) qui à travers ces pages montre, du moins pour 1941) combien se sont illusionnés de Français. Un des moteurs de Maurras étant le complotisme, il n'est pas difficile de comprendre comment les actes de résistance à venir seront perçus.

    A venir la lecture d'un ouvrage de Jouvenel (Après la défaitequi date de la même période, trouvé dans la même caisse.

    Quelques extraits:

    "Nous parlons sans passion de l'ancien général de Gaulle, sans passion d'amour ni de haine.
    Nous avons témoigné, jadis et naguère, assez d'intérêt à ce que ses idées parurent avoir de juste, d'utile et fort ; nous avons librement jugé les brutales indignités auxquelles l'ont conduit des rancunes pleines d'orgueil ; nous avons dû plaindre, de tout notre coeur, les quelques pauvres Français auxquels il a pu faire illusion au point de les empêcher de voir où était la France, - où l'unité française, - où l'avenir, où le salut: autour du Maréchal Pétain."

    Sur la spoliation des biens des juifs:

    "Un très heureux concours de circonstances fait que le statut des Juifs vient coïncider avec la mise sous séquestre et, par la suite, la confiscation d'un certain nombre de capitaux, de châteaux, de terres, d'immeubles, d'objets d'art et de pièces de collections appartenant à de grands Juifs fugitifs, en tête desquels cinq Rothschild.
    C'est un beau coup de filet. Il est juste de le souhaiter productif."

    De l'antisémitisme

    "Ce dont il est surtout question, c'est d'interdire aux Juifs les postes d'administration, de direction, de formation des intelligences. Rien n'est plus sage, il faut bien espérer que l'on épargnera récriminations et gémissements sur aucune lésion aux droits sacrés de la personne humaine. Il n'est écrit nulle part, entre les étoiles du ciel ni dans les profondeurs de la conscience, qu'il soit offensant pour uen personne humaine de ne pouvoir accéder à la direction ou à la gérance d'un théâtre ou d'un cinéma, d'une publication ou d'une université. Ce qui adhère aux droits de la personne humaine, c'est la moralité, la religion, la raison. Le statut des Juifs ne leur demandera pas de dire que 2 et 2 font 5, ni d'abjurer la foi hébraïque, ni de parler ou d'écrire contre la vérité et contre l'honneur.. Ces points sont sauvegardés. Mais nous sommes les maîtres de la maison que nos pères ont construite et pour laquelle ils ont donné leurs sueurs et leur sang. Nous avons le droit absolu de faire nos conditions aux nomades que nous recevons sous nos toits. Et nous avons aussi le droit de fixet la mesure dans laquelle se donne une hospitalité que nous ne pourrions pas donner."


    votre commentaire
  • Jack Williamson - Les Humanoïdes

    Jack Williamson - Les Humanoïdes

    Le roman date de 1948. Il est donc fortement imprégné par la guerre mondiale qui vient de se terminer et par les idéologies en cours.

    Loin dans les temps futurs et dans l'espace, l'humanité s'est disséminée dans la galaxie et n'a su se défaire de son caractère belliqueux. Ainsi deux civilisations se font la guerre, guerre qui promet d'être totale, exterminatrice. Mais au moment le plus critique, arrivent sur la planète des humanoïdes programmés pour que les hommes soient heureux. Toutes leurs actions se feront en ce sens. 

    "Au service des hommes pour leur obéir et les garder du Mal".

    Ils sont ainsi programmés par cette "Prime Directive", leur loi fondamentale. (On pense de fait à Asimov et ses trois lois de la robotique. S'en est-il inspiré?)

    Nous suivons le professeur Forester qui a été contacté par une sorte de groupe de rebelles qui apparemment ne veulent pas que les humanoïdes réussissent leur mission. Ils désirent transformer cette prime directive pour que les êtres humains gardent leur libre arbitre au risque de la violence.

    En effet, pour réussir leur mission les humanoïdes modifient les humains. Ils leur donnent de l'euphoride, modifient leur mémoire quitte à les dénaturer. Mais ainsi, ne les gardent-ils pas du Mal?

    L'oeuvre est assez fataliste. On sent un sens tragique de la nature humaine qui ne pourra trouver la paix que si elle est transformée. Peut-être y trouve-t-on aussi une certaine idée du communisme qui pour arriver aux "lendemains qui chantent" ne peuvent que créer un homme nouveau, transformé de l'extérieur.

    Le roman a vieilli. Tous les passages pour crédibiliser une nouvelle science (le rhodo-magnétisme) sont assez laborieux mais l'ouvrage vaut de par son contexte et l'illustration d'un présent angoissant que n'arrivent pas à calmer les promesses d'un futur irénique.

     

    P.S. Concernant son lien avec Asimov, sur la page wikipédia de Williamson, on trouve ceci:

    Il publie son premier texte, The Metal Man, en 1928 il ne cessera plus d'écrire. Dans les années 1930, déjà reconnu comme l'un des grands de la science-fiction, il fait le bonheur d'un jeune adolescent appelé Isaac Asimov en lui envoyant une carte de félicitations pour sa première publication.


    votre commentaire
  •  

    Simone BERTIÈRE - Marie-Antoinette l'insoumise

    Il suffit parfois d'un buste pour s'intéresser à un personnage. Bon, il ne s'agit pas que d'un buste. La période est aussi très intéressante en ce qu'elle est fondatrice d'un imaginaire collectif.

    Et d'ailleurs, dans cet imaginaire collectif, Simone Bertière le rappelle très bien en conclusion: Versailles, c'est Louis XIV ET Marie-Antoinette.

    Pourquoi lire une biographie de Marie-Antoinette aujourd'hui ?(D'ailleurs, il ne faut pas prendre celle de Zweig pour argent comptant tant celui-ci fait davantage oeuvre d'écrivain que d'historien)

    Tout simplement pour donner du corps à l'histoire.  Marie-Antoinette était la personne que les français (et surtout peut-être les Parisiens) aimaient détester le plus. Autrichienne, indépendante, elle était l'incarnation de ce qui méritait d'être détruit en ce qu'elle était individu, a contrario de Louis XVI qui méritait d'être détruit en tant que symbole. Pour donner corps à l'histoire car un personnage comme Marie-Antoinette est statufié, mythifié. on en perd le prosaïsme, la chair, l'humanité.

    Et Marie-Antoinette comme tous les autres était humaine, d'une personnalité qui a déjoué son destin de Reine de France.

    Petite dernière d'une grande fratrie, son éducation a été négligée. Elle épouse très tôt un jeune homme qu'on lui a appris à mépriser, découvre la vie de cour à Versailles si spécifique et très éloignée du naturel de la cour d'Autriche. Persuadée de pouvoir le manipuler pour le bien de l'Autriche, elle sera continuellement disqualifiée dans les affaires de son pays. Elle passera sa jeunesse à vouloir vivre une vie indépendante: elle fréquente les salons au risque de sa réputation, elle va aux spectacles sans souci de l'étiquette. Elle dépense plus qu'à son tour. Lorsqu'elle tombera finalement enceinte (ô combien il a fallu d'années avant que le mariage ne soit consommé), elle prendra alors un peu de maturité mais il sera trop tard. Sa réputation sera faite et rien ne pourra la sauver dans la folie de la Terreur.

    Simone Bertière nous raconte Marie-Antoinette de façon chronologique mais n'hésite pas à faire des petits bonds parfois pour relier certains thèmes. Si l'ouvrage est épais, il me paraît difficile de pouvoir faire mieux avec moins. Il fallait cela pour éclairer de manière intelligente ce personnage. On se prend à éprouver de la compassion pour ce personnage tellement imparfait et qui aura malgré elle finalement épousé la cause de son mari jusqu'au bout. De jeune fille volage, on la découvrira courageuse aux abords d'une mort pathétique.

    Au milieu de tout cela quelques élements qui émergent

    • Un Louis XVI pieux, courageux et pas si benêt qu'on veut bien nous le faire croire
    • une affaire du collier où Marie-Antoinette aura -déjà-été la victime de sa réputation
    • une population de Paris (populace? lumpenproletariat?) qui a travers la Commune de Paris fera une révolution jacobine et demandera la tête du couple royal.
    • une fin de vie pathétique

    C'est le récit d'un être de chair et de sang dans un environnement hostile, un être imparfait, trop léger, trop indépendant dans une fin de siècle qui lui demandait d'être quelqu'un d'autre.

    Du trône de France à la décapitation, nous avons là une belle héroïne tragique


    4 commentaires