• C'est un étrange roman que celui-ci bien éloigné de nos préoccupations contemporaines.

    Eve (Eve...), est une jeune femme qui habite la lande bretonne, la lande du Morbihan, dominant presque la mer. La lande n'est pas seulement le lieu, c'est le cadre, une évocation peut-être de la lande des Hauts de Hurle-vent.

    La lande, c'est...

    incipit (premier chapitre)

    Il ne restait rien dans cette lande perdue qu'une femme.

    La maison était étouffante avec ses ombres superposées comme des étoffes unies pliées au fond d'une malle. On eût voulu crier là-dessous, déranger les plis et retrouver le souffle.

    Eve n'osa. D'un mouvement craintif, elle tourna la tête pour explorer la chambre des yeux, tandis que son corps, appuyé des coudes à la table, demeurait rigide. La peur, comme une bête, gîtait au creux des genoux, et il semblait qu'à les tenir serrés, on l'empêchât de sortir de sa somnolence.

    La lande recommençait sa mauvaise magie de chaque soir. Elle se peuplait de bruits étouffés de pas, de murmures de voix, coupés d'affreux silences. Le suaire de la brume remuait. On entendait par intervalles le gémissement de l'Océan, et tout le paysage vêtu de noir, poussé par le vent dans la même direction, avait l'air d'un cortège funèbre. Les panaches des tamariniers ondulaient en tête.

    La maison même était étrange, signi ficative, agrippée au rocher, percée d'étroi tes et hautes fenêtres. Elle avait servi, au siècle précédent, de dépôt de poudres. A l'extérieur, un escalier de pierre ter miné par une guérite donnait accès au toit en terrasse.

    La lande s'avançait en éperon sur la mer. Aux temps des grandes marées, elle devenait, pendant quelques heures, une ile. Au haut de la falaise se dressaient les ruines d'une redoute.

    Eve regarda son papier. Elle n'y vit que des traits de plume, des mots épars.

    des phrases informes. La pensée ne dérou lait plus son arabesque. Elle procédait par hachures et taches. Et c'était ainsi chaque soir.

    La lande, la nuit et la mer se jetaient sur elle, démolissaient la maison fortifiée. Pourtant, elle l'avait délibérément choisie, un jour, grâce complicité du soleil.

    Elle essaya d'oublier la tempête noire, évoqua les tempêtes blanches dont elle avait l'habitude, dans un passé tout proche encore.

    Le grand pays du Nord se dressa devant elle, étincelant, formidable et ma gique. La terre craqua sous les pas d'un grand fauve. L'un était fait pour l'autre.

    Elle entendit le vent qui accourait du fond d'espaces inconcevables, ivre de sa propre vitesse, houleux, chargé de neige, et où le visage humain s'enfonçait comme une proue de navire dans les écumes Les flocons fondirent sur ses lèvres et au bord de ses cils. Elle revit l'horizon enflammé, gonflé de feux rouges, où la ville nocturne faisait entendre son grondement de forge en travail. Une fois de plus, elle fut plongée dans le délire de la tempête, l'âme à l'unisson, soulevée de fureur et de violences, le corps devenu de métal.

    Ou bien ce fut l'enchantement des matins d'hiver exquis transparents, la forêt retenant son souffle pour ne pas fêler le cristal de ses branches. Ce fut la paix des soirs, les ombres veloutées qui se projettent sur la neige bleuâtre. Le monde entier avait un visage fragile et poudré. Aux bornes du ciel et de la terre, le fleuve géant reposait, immobile, dans sa cotte de mailles, une épée de lune à ses côtés.

    Tout à coup, la jungle blanche s'anima. Une race inconnue qui avait face humaine ébranla la terre cuirassée. Les regards flambaient d'une soif de plaisir. Un fu rieux besoin d'action faisait craquer les charpentes.

    Eve franchit le noir cordon de la lande et passa à l'ennemi.

    La Lande, c'est cette sorte de sauvagerie faite de solitude, de beauté archaïque et aussi de fantastique.

    Et c'est dans ce cadre qu'Eve va rencontrer Grand-Louis. Grand-Louis est une sorte de fantôme sur la lande. c'est un individu, plutôt silencieux, simple (déficient de prime abord dirait-on aujourd'hui) qu'elle va apprivoiser, par lequel elle va se laisser séduire.

    Et c'est là que le récit s'écarte de l'attendu. Celui que l'on devine peu à peu comme la figure de l'aimé, celui qui se fait désirer, qui se dévoile peu à peu n'est pas désirable au premier abord. Il est l'incarnation peut-être de ce paysage inconnaissable, puissant et silencieux. Il lui devient nécessaire, vital.

    Et le roman de se terminer dans une fusion religieuse, aboutissement de cette révélation de l'un à l'autre, de l'une à l'autre, entre mer et ciel.

    Le roman comment d'une langue très poétique et tend à se simplifier, à être moins métaphorique par la suite lorsque le récit devient plus narratif, davantage centré sur les relations entre les personnages, les deux seuls personnages.

    Un joli roman, où le sentiment religieux vient parachever une relation déséquilibrée et pourtant complémentaire, où homme et femme sont des principes primitifs.

    Prix Femina, 1927


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  • Jean-François REVEL - L'obsession anti-américaine

    L'ouvrage date de 2012. Autant dire qu'il est fortement teinté des attentats islamistes du 11 septembre 2011 et l'altermondialisme qui avait pris les Etats-Unis comme cible.

    Spontanément, si on m'avait demandé pourquoi l'extrême-gauche et l'extrême-droite détestent les Etats-unis, j'aurais répondu que c'était par une sorte d'identification du pays au libéralisme et au capitalisme. C'est aussi lié à mon sens à leur histoire internationale en opposition avec l'URSS, avec Cuba...

    C'est ce que fait Revel ici dans cet ouvrage qui ne se veut pas un parti pris en faveur du pays qui nous prend comme un lapin dans les phares d'une voiture, est une sorte de rééquilibrage, de discussion sur les accusations qui'l considère comme injustes. La difficulté pour quelqu'un qui ne serait pas d'accord, ce serait d'identifier défense des Etats-Unis, objectivation avec adhésion. Je ne pense pas que ce soit le propos de Revel.

    L'ouvrage est un peu daté puisque ne sont pas traités  les dix années suivantes. Cela aurait été intéressant pourtant avec l'arrivée au pouvoir de Trump ou les années Obama.

    Mais ce qui émerge du livre, c'est le désir que les Etats-unis soient critiqués non pas pour le fantasme qu'ils incarnent à nos yeux d'occidentaux mais pour des faits. Et de revenir sur la guerre en Irak, les productions culturelles (les séries)...

    Revel n'est pas dans cet ouvrage un chanteur de louanges des EU, mais tente de rééquilibrer la critique en apportant des éléments concrets aux grands paradoxes de cette dépendance, de cette relation entre l'attirance (il suffit de voir la consommation de masse des produits nords américains)et le dégoût, l'accusation automatique.

    Bref, et il n'est même pas demandé d'être entièrement d'accord avec ses arguments mais plutôt sur sa posture: il faut rester objectif. Toute détestation, toute obsession cache une vision partisane des choses. C'est une attitude très raisonnable en fait.

    conclusion:

    Il est certain - et je l'ai répété maintes fois dans les pages qui précèdent que la nécessité de contenir les débordements réels ou éventuels de la superpuissance américaine appelle, de la part du reste du monde, une vigilance critique et l'exi gence de participer à l'élaboration de décisions qui concernent tous les pays. Mais cette vigilance et cette exigence n'ont aucune chance d'être pri ses en considération par les États-Unis si les cri tiques et les revendications qui leur sont adressées ne sont pas pertinentes et rationnelles. Les outrances souvent délirantes de la haine antiaméricaine, les imputations des médias, rele vant tantôt de l'incompétence tantôt de la mytho manie, la malveillance opiniâtre qui retourne la signification de tout événement de manière à l'interpréter sans exception de manière défavora ble aux États-Unis ne peuvent que convaincre ceux-ci de l'inutilité de toute consultation. Le résultat est l'opposé de celui qui était prétendument recherché. Ce sont les mensonges de la partialité antiaméricaine qui fabriquent l'unilatéralisme américain. L'aveuglement tendancieux et l'hostilité systématique de la plupart des gouvernements qui ont affaire à l'Amérique n'aboutis sent qu'à les affaiblir eux-mêmes en les éloignant toujours davantage de la compréhension des réa lités. Ce sont ces gouvernements mêmes, ennemis et alliés confondus, qui, remplaçant l'action par l'animosité et l'analyse par la passion, se condamnent à l'impuissance et, par effet de contrepoids, nourrissent la superpuissance américaine.


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  • Evelyn WAUGH - Le cher disparu

    "Le cher disparu", c'est sous ce titre que les services de pompes funèbres appellent la personne qui doit être inhumée et qui doit recevoir les services du l'entreprise funéraire.

    Car ce que nous n'avons pas en 2022, c'est le cadre d'écriture de ce roman. Apparemment, il y avait ou se développait des services funéraires assez excessifs pour l'époque avec un développement de l'embaument, un accompagnement qui tenait davantage du superflu que du nécessaire et une certaine forme d'exploitation de la détresse des vivants.

    Ce roman est une forme de marivaudage décalé. Trois personnes forment le centre: un anglais, un américain et une américaine. L'anglais est un peu poète et travaille dans un funérarium pour animaux, l'anglais est un maître de l'embaumement et l'américaine maquilleuse prometteuse des morts.

    Et l'anglais et l'américain vont se disputer la belle qui n'aura de cesse d'hésiter entre les deux, envoyant au courrier du coeur pour conseil ses hésitations entre l'anglais (qui serait très talentueux) mais cynique et l'américain sorte de vieux fils à maman mais qui lui ouvrirait une carrière dans l'entreprise où ce dernier est le Brillat-Savarin des cadavres.

    Ce court roman est cynique, drôle, excessif et se joue de tous les personnages pour servir un propos si ce n'est dénonciateur mais pour le moins critique. Ce n'est pas vraiment une satire mais la légèreté du ton permet une prise de distance humoristique  avec le sujet. Le sort de la belle est le meilleur exemple de l'excès du roman.


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    FESTINGER, RIECKEN, SCHACHTER - L'échec d'une prophétie

     

    La première fois que j'ai entendu parler de dissonance cognitive, c'est certainement dans ce strip de Dilbert

    FESTINGER, RIECKEN, SCHACHTER - L'échec d'une prophétie

     

    Il n'était pas besoin d'avoir fait psycho pour comprendre succinctement le sens de ce fonctionnement cognitif.

    Puis, par l'intermédiaire des écrits de Gérald Bronner (iciici, ici ou encore ici), j'ai découvert cet ouvrage. Je le cherchais d'occasion (hors de prix d'ailleurs) puis la bonne idée a été de le rééditer.

    Je ne rentrerai pas dans les détails de ce qui est censé être un classique de la psychologie sociale. C'est une enquête menée de l'intérieur dans ce qui ressemble à un secte, mais qui tient davantage d'une groupe d'illuminés qui en 1954 est persuadé (à différents niveuax selon les personnes) que la fin du monde approche et que les personnes du groupe seront sauvés par des extra-terrestres à bord de soucoupes volantes. C'est une enquête en chair au coeur même de la construction de cette croyance sur les quelques mois qui séparent le début de l'enquête de la supposée fin du monde qui devait arriver le 21 décembre.

    Le livre est le récit de cette enquête menée par plusieurs observateurs qui se sont alors glissés au sein du groupe. Il est questions des personnalités, des actes, des pensées de chacun que ce soit en lien avec les autres ou face aux événements qui verront leurs prophéties échouer . Le groupe est dominé par le couple Armstrong et par celle qui, grâce à l'écriture automatique, est en contact avec les Autres.

    Le dernier chapitre sur la méthodologie et les biais liés à l'immersion des observateurs et leur influence parfois est très honnête.

    Le principal intérêt du livre est cette occasion d'avoir pu vivre de l'intérieur ces quelques mois qui ont suivi une annonce dans le journal (annonçant la fin du monde) jusqu'au délitement du groupe. Tout le processus est suivi, décrit, analysé pour mettre en avant la réduction de la dissonance cognitive qui à chaque prophétie mise en échec par le réel réussira à trouver un sens pour venir renforcer leurs croyances (à des degrés divers et à cause de certains facteurs).

    P.S. Je dois bien avouer que j'ai été assez empathique envers les protagonistes et que face à certaines situations humiliantes ou lorsque les déceptions étaient trop grandes j'aurais peut-être aimé qu'ils se fassent emmener à bord de soucoupes volantes....

    P.S. 2 Il sera bon de se rappeler cette expérience (même si la dissonance cognitive reste discutée) face à nos propres attentes déçues et à nos illusions (politiques souvent en ce XXIème siècle) et de la manière dont nous pouvons tenter de trouver toujours de bonnes raisons pour réduire l'inconfort du doute ou de la réfutation.

     

    "Mais l'explication ne saurait suffire. La dissonance est trop grave. Même s'ils tentent de la cacher et de se la cacher, les adeptes déçus savent que la prédiction était fausse et vains leurs préparatifs. Ni le déni ni la rationalisation ne peuvent extirper la dissonance. Reste un bon moyen de la réduire : si l'on peut convaincre de plus en plus de gens qu'un système de croyances est valable, celui-ci doit s'en trouver finalement légitimé. En poussant l'hypothèse à l'extrême, si tout le monde partageait une croyance donnée, personne n'irait s'interroger sur sa validité. D'où l'intensification des activités de propagande après le démenti des faits. Succès aidant, en gagnant des adhérents et en se barricadant derrière une armée de fidèles, l'adepte réduit la dissonance au point où elle redevient vivable."

    Festinger, Riecken, Schachter

     

    J'ai dû faire un long voyage, j'ai abandonné à peu près tout. J'ai brisé tous les liens, j'ai brûlé tous les ponts, j'ai tourné le dos au monde, alors je ne peux pas me permettre de douter : je dois croire, il n'y a pas d'autre vérité.

    Dr Armstrong


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  • NIkos KAZANTZAKI - Alexis Zorba

    C'est l'histoire d'un personnage (une personnage dans le roman mais dont la truculence en fait un personnage en soi) et d'une rencontre.

    Le narrateur est un jeune intellectuel qui souhaite s'écarter pour un temps des livres et faire une affaire dans les mines et le bois. Il rencontre alors Alexis Zorba, vieil homme dont il va faire son contre-maître.

    C'est une sorte de rencontre amoureuse tant le narrateur va en devenir dépendant, il va s'agit presque d'une relation maître/élève.

    Zorba est donc un personnage haut en couleur, aimant les femmes, parlant haut, buvant, mangeant. C'est un viveur, sans attaches. Une sorte de philosophe antique, un mélange entre Diogène et Epicure.

    Ce roman est donc une rencontre. Mais j'ai trouvé l'ensemble très lourd.

    Premièrement, le développement de la relation est très longue. C'est une sorte de succession d'épisodes sans réelles évolutions. Et puis, je dois bien dire que le traitement réservé aux femmes Madame Hortense par les personnages complètement humiliée, ou la veuve trucidée par les villageois sans qu'il y ait jamais vraiment de leçon, de repentir ou de regard réellement compatissant. les femmes sont ici des objets.

    Je ne lis pas un roman selon une grille de lecture morale. Cela m'indiffère plutôt dans l'absolu et je peux lire un roman immoral sans m'en offusquer. Mais dans ce roman qui aurait pu être une sorte de récit initiatique, le manque d'empathie, l'indifférence, voire la cruauté envers ces deux personnages montre une sorte d'égoïsme contradictoire avec le personnage de Zorba censé ouvrir une voie dans la vie, celle des sens face à un certain intellectualisme qui ferait passer à côté des "vraies" choses de la vie.

    Je suis peut-être passé à côté de la philosophie de l'ouvrage. L'air du temps peut-être. Le narrateur très attaché aux enseignements de Bouddha (cf peut-être le livre de Koestler le Yogi et le Commissaire) totalement aveuglé par Alexis Zorba en devient alors égoïste. Et je ne suis pas sûr que ce soit la morale voulue par L'auteur.


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